«La rupture du jeûne du ramadan sur un terrain de foot n’est pas une simple “pause fraîcheur”»



© Le contenu de ce site est protégé par les droits d’auteurs. Merci de citer la source et l'auteure en cas de partage.

FIGAROVOX/TRIBUNE – La philosophe et islamologue Razika Adnani se félicite de la décision de la Fédération française de maintenir son interdiction des ruptures de jeûne pendant les matches de Ligue 1. En refusant cette «pause», elle protège notamment les musulmans qui ne jeûnent pas, argumente-t-elle. Le FigaroVox

En France, la mise en place de pauses lors des matchs de foot pour permettre la rupture du jeûne aux joueurs qui jeûnent pendant la période du ramadan fait à nouveau irruption sur la scène du débat malgré la décision l’année dernière de la Fédération française de Football de les interdire. Ceux qui veulent imposer la rupture du jeûne sur le terrain de foot ne se découragent pas et la question reviendra assurément l’année prochaine et d’autres années encore un peu comme pour le port du voile. Deux situations très similaires. Dans les deux cas, il s’agit de pratiques attribuées à l’islam et de leur relation à l’espace public. L’une s’exprime dans l’espace public et on veut imposer l’autre dans l’espace public, car à l’origine la rupture du jeûne appartient à l’espace privé. Elle se fait à la maison et en famille ou dans des restaurants. Aujourd’hui, on veut profiter du football, le sport le plus populaire, pour lui permettre une existence dans l’espace public et de ce fait davantage de visibilité sociale.

Le phénomène n’a pas commencé avec la revendication des pauses de match en Occident. Dans les sociétés musulmanes des ruptures de jeûnes collectifs dans l’espace public sont devenues une tendance. En France, des soirées « iftar » se multiplient pendant le mois de ramadan où les invités, qu’ils soient jeûneurs ou pas, musulmans ou pas, se mettent dans une posture de jeûneurs devant leur assiette attendant l’appel à la prière qui donne l’autorisation de manger. Interrompre les matchs pour permettre aux joueurs de rompre leur jeûne du ramadan, qui n’est pas une simple « pause fraîcheur », revient instaurer cette atmosphère ramadanesque sur le terrain de football et l’imposer à tous les joueurs, à tous les supporteurs, à tous les téléspectateurs dans une forme de fait accompli ce qui est diffèrent des invités des soirées « iftar » qui répondent à des invitations.

Les musulmans doivent être les premiers à refuser d’imposer leur religion aux autres. Quand bien même la loi admet ce genre de pauses lors des matchs, comme c’est le cas dans d’autres pays, la morale ne le permet pas. D’ailleurs, ceux qui sont dans une pratique sincère de leur religion et qui la vivent comme une quête spirituelle et personnelle ne ressentent pas le besoin de l’imposer à tout le monde. Le désir de religiosité n’a rien à voir avec le désir d’imposer sa religion aux autres. Quand on veut vivre en harmonie avec l’autre, on a l’obligation morale de s’interroger sur son propre comportement, de se mettre à la place de l’autre sur ce qu’on lui impose et comment il le perçoit. C’est une question de respect qu’on manifeste à son égard. L’autre ne désigne pas uniquement le non musulman mais également les musulmans ou ceux qui appartiennent aux sociétés musulmanes ou encore issus de famille musulmanes qui ne veulent pas jeûner ou ne ressentent pas le besoin de croire à une religion.

La Fédération française de football qui se réfère aux lois de la République a raison de veiller à ce que le football ne se soumette pas aux exigences de la religion. Cependant, elle a également le devoir de protéger les joueurs et en particulier ceux issus de familles musulmanes. Elle doit éviter que ceux qui ne jeûnent pas se trouvent dans une situation qui les oblige à faire semblant de jeûner pour éviter les représailles de certains supporteurs ou que le joueur sur le terrain, même s’il a soif, ne puisse pas boire avant la rupture du jeûne, ce qui peut être dangereux pour sa santé. Le jeûne islamique, où l’on se prive de manger mais aussi de boire, est très pénible pour le corps et l’esprit, surtout quand on fournit de grands efforts. D’ailleurs en islam il n’est pas recommandé de jeûner aux malades, aux voyageurs et aux femmes enceintes. C’est la preuve que la santé des individus prime sur la pratique du jeûne. Il est important de préciser dans ce contexte que l’obligation de jeûner elle-même n’est pas aussi évidente dans le Coran et que certains commentateurs ont affirmé que jeûner était une question de choix personnel.

La question de la rupture du jeûne lors des matchs de foot tout comme celle du port du voile qui s’imposent en Occident sont des preuves que les musulmans d’Occident ne sont pas épargnés par la montée du conservatisme et du renforcement du religieux qui touche le monde musulman. Elle révèle également que les islamistes activistes, qui ne sont pas que des Frères musulmans, veulent imposer non seulement l’islam, mais leur propre conception de l’islam. Après avoir mis la main sur les sociétés à majorité musulmane, ils s’attaquent aujourd’hui aux sociétés occidentales. C’est en abordant ces phénomènes comme des prolongement de ce qui s’est passé dans le monde musulman qu’on arrivera à bien saisir les motivations de ceux qui s’activent en Occident.

Razika Adnani

© Le contenu de ce site est protégé par les droits d’auteurs. Merci de citer la source et l'auteure en cas de partage.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *