Razika Adnani « Arrêter le match pour rompre le jeûne, c’est instaurer une atmosphère ramadanesque »

ENTRETIEN de Razika Adnani accordé au journal Le Point : Razika Adnani, philosophe, islamologue et conférencière, apporte son éclairage sur la question du jeûne pour les sportifs de haut niveau.
Propos recueillis par Guillaume Mercier

“Le jeudi 30 mars, la Fédération française de football (FFF) a rappelé à tous les clubs l’interdiction d’interrompre les matchs en cas de rupture du jeûne. Cette décision fait suite à des rencontres amateurs stoppées pour ce motif. Dimanche 2 avril, le joueur nantais Jaouen Hadjam a été écarté de l’équipe par son entraîneur Antoine Kombouaré au motif que « le jour du match, il ne faut pas jeûner. Il y a beaucoup d’intensité, il faut être prêt ». À l’inverse, en Angleterre, la fédération a autorisé les arbitres à interrompre des matchs pour la rupture du jeûne. Afin de comprendre les enjeux de ce débat. Razika Adnani, philosophe, islamologue et conférencière, membre du Conseil
d’orientation de la Fondation de l’islam de France, revient sur la question du jeûne
religieux des sportifs.” Le Point

Le Point : Cette décision de la FFF vous a-t-elle surprise ?
Razika Adnani : Non, je ne suis pas du tout surprise. Ce qui est surprenant, c’est
cette irruption du religieux dans le domaine du foot. L’interruption du match pour
rompre le jeûne du ramadan, c’est certainement le meilleur moment pour une
doctrine religieuse ou autre de s’imposer au plus grand nombre. La Fédération
française de football a un règlement défendant les valeurs fondamentales de la
République française, et il faut le respecter. Pour certains, ce n’est qu’« une datte et
un verre d’eau ». La question ne réside pas dans ce qu’on mange ou la quantité de la
nourriture que l’on mange, mais de ce que cela représente.

Cette volonté de rompre le jeûne sur le terrain revêt donc une dimension
symbolique ?
Tout à fait. Arrêter le match pour rompre le jeûne du ramadan n’est pas une simple
pause fraîcheur, c’est instaurer une atmosphère ramadanesque sur le terrain de
football et l’imposer à tous les joueurs, à tous les supporteurs, à tous les
téléspectateurs. Tout est dans la symbolique et ce qu’on impose à l’autre et
comment cet autre le perçoit. Quant aux musulmans, je pense que celui qui est
dans la pratique sincère de sa religion, comme un besoin spirituel et personnel, ne
ressent pas le besoin d’imposer à tout le monde sa religion.

La décision de la FFF était-elle la bonne ?
Le football ne doit pas se soumettre aux exigences de la religion et la Fédération a
le devoir de protéger les joueurs, en particulier ceux issus de familles musulmanes.
Elle doit éviter que ceux qui ne jeûnent pas se trouvent dans une situation qui les
obligera à faire semblant de jeûner pour éviter les représailles de certains
supporteurs ou que le joueur, sur le terrain, même s’il a soif, ne puisse pas se
permettre de boire avant la rupture du jeûne, ce qui peut être dangereux pour sa
santé. Je rappelle que dans le Coran, l’obligation de jeûner n’est pas
évidente.

Lire l’article de Razika Adnani sur le sujet : “Pourquoi certains musulmans affirment que le jeûne de ramadan n’est pas obligatoire”

Selon vous, dans le cas de Jaouen Hadjam, s’agit-il de discrimination réelle ou
perçue ?
Je pense qu’il faut cesser de voir de la discrimination partout. Jouer un match de
foot demande des efforts physiques importants et l’entraîneur a le droit de ne pas
convoquer le joueur qui veut absolument jeûner pour préserver sa santé et garantir
la performance de l’équipe. Jeûner est très pénible pour le corps et l’esprit, surtout
quand on fournit de grands efforts. La preuve en est que dans les sociétés
musulmanes, beaucoup passent leurs journées au lit pendant le mois du ramadan.
Les entreprises et les administrations réduisent les heures de travail. Pourquoi le
faire si jeûner était quelque chose de facile ?

Comment expliquer la décision inverse prise en Angleterre ?
Tout d’abord, la France n’est pas l’Angleterre. Chacune a sa culture, son histoire et
sa loi, notamment concernant le rapport à la religion. La France est laïque et
l’Angleterre ne l’est pas. Ensuite, ce n’est pas parce que l’Angleterre l’a fait que c’est
bien pour le pays, pour les joueurs, et notamment pour ceux qui sont issus de
familles musulmanes. Il faut savoir que, contrairement à ce que l’on pense, ceux
qui appartiennent à la culture musulmane ne sont pas tous musulmans et ceux qui
sont musulmans ne jeûnent pas tous. Le Coran ne dit pas « forcez-vous à jeûner quelle que soit la situation ». Par exemple, le malade et le voyageur ne jeûnent pas. Là encore, la santé des individus
prime sur la pratique du jeûne.

En France, est-ce un sujet qui risque de créer une polémique, de générer des
débats, des questionnements, dans un contexte de débats sur la question
religieuse ?
Oui, certainement. Cela fait partie de la réalité sociale, politique et culturelle de la
France. Mais cela ne veut pas dire que ces polémiques et ces problèmes n’existent
pas ailleurs. Dans les pays musulmans, la question du jeûne soulève également des
questions et provoque souvent des polémiques. Tout comme le voile. On a souvent
entendu dire qu’il ne pose problème qu’en France. La révolte des femmes
iraniennes contre cette pratique montre que ce n’est pas vrai.