“Barbie” interdit en Algérie : “Les conservateurs islamistes ont peur que les femmes se rebellent contre le patriarcat”



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Publié par Marianne

Le film Barbie réalisé par Greta Gerwing et interprété par Margot Robbie dans le rôle de Barbie et Rayn Gosling dans le rôle de Ken a provoqué la réaction des  conservateurs et des islamistes dans tout le monde musulman qui l’ ont accusé d’atteinte aux valeurs de l’islam et des sociétés musulmanes. Après trois semaines de diffusion, l’Algérie a retiré le film des salles de cinéma car jugé contraire à « la morale de la société algérienne ». Elle fait partie des pays musulmans qui ont cédé à la pression des conservateurs islamistes contrairement à d’autres tels que le Maroc, la Tunisie ou encore l’Arabie Saoudite où le film est encore diffusé à l’heure où je rédige ce texte.

Barbie, profondément féministe

Pour me faire ma propre opinion, j’ai été voir le film. Ce que j’ai vu, c’est un univers fantastique de la poupée Barbie qui aborde néanmoins des questions existentielles telles que la mort, la différence entre le monde de l’imaginaire de Barbie et celui de la réalité, entre la poupée et l’humain, mais aussi le patriarcat et le féminisme. En dehors de ces deux derniers sujets, il n’y a pas d’autres raisons qui peuvent expliquer la réaction des conservateurs et la décision d’interdire le film. L’homosexualité et le trangenrisme évoqués par les conservateurs comme raison de leur rejet du film sont à peine insinués.

Les sociétés musulmanes sont très patriarcales et toute remise en question de la domination masculine est considérée par une grande partie de la population comme une atteinte à l’islam et aux fondements de la famille et cela ne concerne pas uniquement les conservateurs ou les islamistes. Comme je l’ai expliqué à d’autres occasions ( Maghreb, l’impact de l’islam sur l’évolution sociale et politique), les acteurs de la Nahda qui voulaient moderniser les sociétés musulmanes (entre le XIXe siècle et le début du XXe siècle) n’ont pas renoncé au patriarcat. Ils ont tous, hormis Atatürk, mis en place des lois qui le pérennisent. Sur la question de la femme et de la relation homme/femme, les modernistes étaient des conservateurs et la situation n’a pas changé depuis. Dans presque tous les pays à majorité musulmane le droit est profondément patriarcal. Il discrimine les femmes et accorde des privilèges aux hommes.

 Le féminisme n’est pas un thème étranger

Le film n’aborde pas pour autant des questions étrangères à la société algérienne.Le féminisme et la lutte contre le patriarcat ont toujours existé. Il y a féminisme dès lors qu’il y a patriarcat, les sociétés musulmanes ne font pas exception à la règle et cela n’a pas épargné la société du prophète. Le discours religieux raconte qu’Oum Salama, une des épouses du prophète, a protesté auprès de celui-ci sur le fait que le Coran ne s’adressait qu’aux hommes et non aux femmes. Féministe qu’elle était, elle n’a pas hésité à critiquer le message coranique lui-même pour défendre les droits des femmes. Sa requête a été entendue et des changements ont été opérés au sein du Coran selon les commentateurs du Coran. Aujourd’hui, les Algériens ne vivent pas dans un monde fermé et ne sont pas en retrait des questionnements qui interpellent l’humain : le féminisme, la domination masculine, la question du genre, l’homosexualité. À la place de la censure, il est plus judicieux d’encourager les débats philosophiques et littéraires où ces questions et d’autres sont posées, discutées et argumentées en toutes liberté.

Le patriarcat menace la famille

Ce qui a suscité la colère des conservateurs et des islamistes qui ne conçoivent la relation entre l’homme et la femme que comme une relation de dominé et dominant, c’est le fait que le film est profondément féministe et soulève des questions au sujet du patriarcat. Les conservateurs ont peur que les femmes, en voyant le film, se rebellent contre le patriarcat comme à Barbie Land où Ken voulait changer la constitution pour prendre le pouvoir aux femmes, mais en vain. Ils ne veulent pas que les jeunes, car le film est beaucoup vu par les jeunes, remettent en question la domination masculine alors que l’islamisme et le conservatisme islamique sont des patriarcats fondés sur la domination de l’homme sur la femme.

La réalité c’est que le féminisme qui ne concerne pas uniquement les femmes ne menace pas la famille. Bien au contraire, c’est le patriarcat qui menace aujourd’hui la famille. Les femmes ne veulent plus être maltraitées ni discriminées ni mal considérées, ce qui explique l’augmentation des cas de divorce, quand elles n’optent pas tout simplement pour le célibat.Le féminisme est un humanisme. Aucune femme, aucun homme ne peut être humaniste sans être féministe. Le féminisme réclame pour les femmes les mêmes droits que les hommes et exige le respect de leur dignité humaine. Le féminisme contemporain est justement né dans le sillage des lacunes de l’humanisme des XVIIIe et XIXe siècles qui affirmait l’égalité de tous les êtres humains mais n’accordait pas sur le plan social et politique aux femmes les mêmes droits qu’aux hommes. En 1791, la Française Olympe de Gouges, de son vrai nom Marie Gouze (1748 – 1793), rédige la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne car la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ignorait les droits des femmes. L’humanisme ne peut se réaliser sans le féminisme et une société ne peut sortir de son archaïsme sans mettre fin aux discriminations faites aux femmes. Cependant, haïr les hommes, les humilier, les dominer ou encore les discriminer comme le veulent certaines femmes qui se disent féministes, n’est pas non plus du féminisme, car c’est contraire à l’humanisme. Le féminisme ne veut pas que l’homme domine la femme et piétine sa dignité humaine, mais ne veut pas non plus que la femme domine l’homme et nie sa masculinité. Dans toutes les familles où la femme et l’homme ont compris cela, la tranquillité, la sérénité qui renforcent l’amour règnent. Le reportage montrant Cherifa et Rachid, un couple algérien qui vit dans le respect et l’égalité, qui sortent ensemble en moto et partagent des loisirs a enthousiasmé les Algériens. N’est-ce pas là une preuve d’une autre morale que beaucoup d’Algériens veulent et que le concept de « la morale algérienne », mis en avant pour expliquer l’interdiction du film, est un mythe ? Les Algériens n’ont pas tous le même système de valeurs morales. Il n’y a pas une morale en Algérie mais des morales. Quand certains jugent conforme à la morale un acte ou une idée, d’autres peuvent y voir le plus grand mal. Le film ne va donc pas à l’encontre de « la morale algérienne » mais de celle d’une partie de la population qui prétend détenir le monopole des valeurs morales et veut les imposer à tous. D’ailleurs beaucoup d’Algériens ont réagi contre la censure.

Razika Adnani

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