La nécessaire réconciliation (extrait de l’ouvrage)
Construire un pays ne dépend pas uniquement des ressources naturelles dont il dispose. Ce ne sont pas ses richesses ou leur absence qui lui permettent ou l’empêchent de se développer. Si tel était le cas, c’est la carte mondiale du développement qui s’en trouverait changée du tout au tout. La construction d’un pays dépend avant tout de son peuple. C’est la capacité des hommes et des femmes à surmonter les obstacles, à prendre les grandes décisions, mais aussi à relever les défis et à aller de l’avant, qui lui garantit sa place parmi les grandes nations du monde.
Je ne crois pas à la supériorité intellectuelle d’un peuple sur un autre. En revanche, je crois à la force de la volonté qui puise son énergie dans la confiance que les peuples ont en eux-mêmes. C’est elle qui leur permet de révéler ces qualités, c’est elle qui les pousse à dire « yes we can » ; elle est le tremplin qui les propulse vers le haut. Ceux qui en sont dépourvus restent sur le bord de la route.
Cette confiance, c’est de l’estime de soi qu’elle naît. Or justement, les Algériens, comme tous les Maghrébins, portent encore dans leur conscience collective un terrible manque d’estime de soi. Depuis des siècles, ces peuples sont minés par ce mal. Une forme de honte de ce qu’ils sont les poursuit et explique pourquoi le Maghreb n’a pas réussi à s’imposer aux yeux du monde en tant que leader historique.
Il y a certainement d’autres raisons à cette situation, mais le « dénigrement de soi », bien que jamais abordé comme une véritable problématique, est fondamental car il s’agit de la relation avec soi et avec les autres. Ce problème est toujours présent ; il suffit de poser la question de l’identité pour qu’il surgisse.
Se dénigrer c’est souffrir, et un peuple, tout comme une personne qui souffre de ce complexe, a toujours du mal à entreprendre : il se persuade que son infériorité est naturelle, il risque de s’abandonner à la résignation et de tomber dans l’inertie qui est, par essence, la plus grande ennemie du développement.
Le danger de cet état psychologique ne réside pas uniquement dans la résignation, mais aussi dans la source de violence qu’il représente, et la violence quotidienne, qui gaspille l’énergie et le temps, est une entrave au développement.
Il faut que les Algériens comme tous les Maghrébins fassent la paix avec eux-mêmes, car celui qui n’a pas une relation sereine et paisible avec lui-même ne peut pas avoir une relation sereine et paisible avec les autres. La condition première passe par une réconciliation avec leur histoire.
Cependant, l’histoire ne peut guérir un peuple de ses souffrances et de ses complexes que si lui-même cesse de la soumettre à l’emprise de ses désirs et de sa culpabilité. Il est plus judicieux de savoir accepter son histoire que de chercher à s’en inventer une nouvelle ou à s’approprier celle des autres. Refuser son histoire, c’est se refuser soi-même à soi-même ; emprunter celle des autres, c’est une façon inconsciente peut-être, mais certaine, de reconnaître son infériorité.
Razika Adnani, extraits de l’ouvrage La nécéssaire réconciliation