Tariq Ramadan, réformateur ou conservateur enjôleur ?



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Tribune publiée par Éconostrum et Kapitalis

L’affaire Tariq Ramadan défraie la chronique. Ce prédicateur très médiatisé et vénéré par un grand nombre de musulmans et de non musulmans est accusé de viol et d’actes de brutalité. Si ce scandale a beaucoup divisé au sujet de son comportement, il a ravivé des interrogations concernant sa pensée et ses positions au sujet des questions qui se posent sur l’islam dans les sociétés actuelles. Nombreux sont ceux qui se demandent si l’auteur de Islam, la réforme radicale est réellement un réformateur ou un conservateur et un islamiste enjôleur qui sait manier le verbe. Faut-il l’écouter ou se méfier de ce qu’il dit ? 

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Sa popularité, en plus de son éloquence, vient du fait qu’il est considéré par beaucoup de musulmans mais aussi de non musulmans comme l’un des plus grands réformateurs modernistes contemporains ; celui qui propose un islam plus adapté à l’époque actuelle. Cette réputation s’explique par le fait qu’il n’a pas cessé, ces dernières années, de convoquer la relecture des textes et de revendiquer la nécessité de l’idjtihad (l’effort intellectuel) et de la critique rationnelle de la charia. Il rappelle que celle-ci porte en elle une part humaine qui est apte à être revue.  À ce sujet, il écrit : « les musulmans d’aujourd’hui, en Orient et en Occident, ont un besoin urgent d’un fiqh (droit et jurisprudence) contemporain1 ». Ce discours qui se veut à l’opposé de celui des salafistes et des conservateurs a beaucoup d’écho notamment en Europe ; des intellectuels et des journalistes sont même séduits.

Une réforme sous conditions

En effet, de tels propos tenus par un musulman sont certainement très intéressants de nos jours. Cependant, l’admiration que peut susciter la première impression ne doit pas nous empêcher d’examiner de plus près la pensée de Tariq Ramadan. Ce qui est important à retenir est que s’il semble parfois tenir le discours d’un réformateur moderniste, il souligne constamment et régulièrement les limites de la relecture des textes qu’il revendique et de la critique de la charia qu’il défend ; il insiste sur les lignes rouges que la réforme ne doit jamais transgresser. À ce propos, il écrit : « Il faut commencer par dire que l’on se doit de respecter la diversité des interprétations sauf, bien sûr, lorsque celles-ci vont à l’encontre d’une prescription islamique établie ou d’un objectif supérieur reconnu » 2. Certaines prescriptions sont donc, selon lui, exclues de la critique et de toute révision. Il ajoute que le devoir du réformateur est de distinguer « ce qui, dans les textes, est immuable, de ce qui est propre au changement »3. Autrement dit tout n’est pas apte à la rénovation selon lui. « Certes, il existe des règles et des principes immuables dans le droit et la jurisprudence »4, précise-t-il. 

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La question est de savoir quels sont exactement les versets qui ne doivent pas être soumis à la relecture et quelles sont les règles de droit qui sont immuables et échappent par conséquent à la réforme ? Pour la majorité des musulmans, il s’agit des versets explicites. Quant aux règles immuables, ce sont celles qui sont justement inscrites dans ces versets explicites et précisément celles concernant l’organisation de la famille, l’héritage, les châtiments corporels, le port du voile pour la femme, le statut des non musulmans qui vivent dans des pays musulmans…

Des versets explicites et des règles immuables

Ces règles, qui sont immuables pour Tariq Ramadan étant donné qu’il ne les remet pas en question, sont pourtant celles qui posent problème aujourd’hui et auxquelles l’évolution des sociétés musulmanes se heurte. Les exclure de la réforme, revient à ne proposer aucun changement réel. ( Razika Adnani, Islam: quel problème ? Les défis de la réforme, UPblisher, France, 2017, Afrique Orient, 2018)

Il faut rappeler que Tariq Ramadan s’inscrit dans la position générale des docteurs de l’islam qui, depuis Mohamed Abdou, se revendiquent réformistes, mais qui demeurent dans leur fond des conservateurs et bloquent la réflexion et de ce fait la réforme. La particularité de Tariq Ramadan réside dans le fait qu’il est conscient qu’il s’adresse à un public européen, dans sa majorité, et interpellé par les questions de la charia, et il veut le séduire. Pour cela, il arrive qu’il tienne des propos qui semblent rénovateurs et audacieux. Il explique par exemple que l’erreur des musulmans réside dans le fait qu’ils considèrent « la charia comme le corpus de « Lois divines », donc absolues5 » et d’avoir « omis de considérer la part humaine dans leur construction »6 , mais, rappelle en même temps que les règles de la charia sont immuables. Or, n’est immuable que ce qui est sacré et absolu. Ce genre de contradictions qui se répètent dans son discours, et le fait qu’il revendique la réforme et rappelle toutes les conditions qui l’empêchent de se concrétiser, dévoile un double langage qui rend sa pensée difficile à cerner. 

Un autre facteur qui fait que pour beaucoup ses propos sont ambigus réside dans le fait que bien qu’il affirme le principe de l’immuabilité de la charia, il aborde ses règles et donne l’impression de les discuter. Or, il se contente de tourner autour pour à la fin soit ne pas préciser sa position comme c’est le cas de la polygamie, de l’homosexualité, soit les réaffirmer telles qu’elles sont depuis des siècles7comme c’est le cas du port du voile, des inégalités successorales et de la lapidation. Il est donc difficile à celui qui prétend être républicain et moderne et qui raconte qu’il lit tout ce que Tariq Ramadan écrit et écoute tout ce qu’il dit, de déclarer qu’il ne voit rien de dérangeant dans son discours.

Tariq Ramadan et l’islam de l’Occident

Assurément, ce qui fait davantage la popularité de Tariq Ramadan en Europe, est son discours sur « l’islam de l’Occident » qui permettrait aux musulmans d’Europe d’être à la fois citoyens européens et musulmans sans conflit entre ces deux identités. Cependant, là encore, il précise que : « l’islam de l’Occident est un islam fidèle aux textes du point de vue du credo, du rituel et des prescriptions, tout en faisant siennes les cultures occidentales…il s’agit d’un seul et même islam, avec la diversité de ses cultures 8 ». Et pour davantage de précision, il ajoute : « Le processus n’est pas nouveau puisque l’on connaît l’islam indien, africain, arabe etc. »9. Ainsi, pour Tariq Ramadan, la différence entre « l’islam d’Occident », qu’il prétend vouloir nouveau et réformé, et celui pratiqué dans les pays musulmans serait la même que celle qui existe entre l’islam d’Afrique ou d’Inde et celui des pays arabes. La seule particularité de cet « islam de l’Occident » réside donc dans le fait que ses partisans vivent au sein d’une culture occidentale selon lui. Autrement dit, l’islam de l’Occident n’abolira pas, par exemple, le port du voile, mais il apprendra à la femme musulmane de vivre avec son voile dans un environnement occidental étant donné que pour Tariq Ramadan : « Pour les femmes, la prescription porte également sur le port du voile… (et) Il s’agit d’un acte de foi » 10

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Pour mieux comprendre cette conception de « l’islam d’Occident » chez Tariq Ramadan, il faut rappeler que ce dernier fait partie de ceux qui défendent l’idée de jurisprudence (fiqh) des minorités comme solution pour les musulmans vivant en Occident. Jurisprudence revendiquée par certains docteurs de l’islam y compris Youcef el-Qaradaoui. Bien que ce dernier soit conservateur, salafiste et littéraliste, il affirme, dans son ouvrage La jurisprudence des minorités musulmanes, le besoin des musulmans qui sont minoritaires dans des pays non musulmans à quelques arrangements avec la pratique de certaines règles juridiques islamiques à condition que cela ne touche pas à celles de la charia, mais seulement aux règles secondaires du fiqh. Cette position est celle qui a toujours été défendue par les docteurs de l’islam : la charia est universelle et immuable, le fiqh est en revanche particulier et susceptible au changement. 

Ainsi, malgré son désir d’enjôler, Tariq Ramadan tient en réalité le discours d’un conservateur islamiste affirmé et fidèle à l’héritage de son grand-père fondateur de la confrérie des Frères musulmans, ce qui explique pourquoi il est aimé et vénéré également par les islamistes conservateurs mêmes si les plus radicaux lui reprochent de ne pas être plus direct et plus ferme. Cependant, son discours est davantage un combat politique dont l’objectif est d’instaurer sa vision de l’islam notamment en Occident. Razika Adnani


1  Tariq Ramadan, Islam, la réforme radicale, éditions Archipoche, 2015, p. 9. 
2  Tariq Ramadan, ibid., p. 317.3  Tariq Ramadan, Islam, la réforme radicale, ibid p. 9.4  Tariq Ramadan, Le Génie de l’islam, éditions Presse Du Chatelet, 2016, p. 155 et 156. 
5  Tariq Ramadan, Le Génie de l’islam, ibid., p. 155. 
6  Ibid.7 Ibid8  Tariq Ramadan, ibid., p. 258.9  Tariq Ramadan, ibid., p. 258.10  Tariq Ramadan, ibid., pp. 261-262.

L’article est également publié par Huffpostmaghreb
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1 Commentaire(s)

  1. Karim Bouda dit :

    Bonjour Madame Adnani.
    Outre la pertinente analyse que venez de faire…
    Je permettrais de d’écrire aussi que nous vivons une époque de fans et de suiveurs qui finalement se moquent de lire ou d’écouter un penseur ou un orateur mais préfèrent plutôt adhérer de manière très affective à un charmeur qui va savoir les caresser dans le sens du poil et en même temps à les victimiser.
    C’est, en l’espèce, le cas de T. Ramadan.
    Et le problème c’est que c’est fans manipulés par un pervers risquent de devenir aussi pervers.

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