“Violences à cause de la « sourate corona » : le Coran n’interdit pourtant pas l’imitation »



© Le contenu de ce site est protégé par les droits d’auteurs. Merci de citer la source et l'auteure en cas de partage.

Publié par Globalgeoews et Kapitalis

Deux jeunes filles, une Algérienne, Sanaa Bendimerad, et l’autre Tunisienne, Amna Chargui, sont menacées de violence et de mort par plusieurs individus sur les réseaux sociaux pour avoir partagé un texte qui porte le titre de « sourate corona » dont elles ne sont pas les autrices.  


Pour leurs agresseurs le texte en question est une atteinte au Coran. Or, sa lecture permet de constater qu’il ne s’agit en aucun cas d’une déformation d’une sourate ou d’un verset coranique. Il évoque le coronavirus et comment s’en protéger, un sujet qui n’a rien à avoir avec le Coran. En aucun moment dans le texte, Dieu, le prophète, le Coran ou les musulmans ne sont mentionnés. Le texte n’est pas non plus attribué à Dieu.  On ne peut donc pas parler d’atteinte à Dieu ou de diffamation du livre fondateur de l’islam. En revanche il a repris les codes du texte coranique et son style littéraire, ce que certains ont considéré comme une imitation du Coran, donc une violation de sa sacralité. 

Le Coran n’interdit pas l’imitation de ses sourates ou de ses versets

Même si l’on considère qu’il s’agit réellement d’une imitation des sourates du Coran, celui-ci n’interdit pas de le faire. Bien au contraire, il exhorte dans plusieurs versets le prophète à demander, dans une forme de défi, aux non-croyants d’essayer de formuler ou d’imiter ses sourates. Pour le Coran, cela leur permettra de se rendre compte de l’inimitabilité des textes coraniques et sera pour eux une preuve de leur erreur et de la véracité du message coranique.

Parmi ces versets, nous pouvons citer le numéro 88 de la sourate 17, Voyage nocturne : « Dis : même si les humains et les djinns s’unissaient pour obtenir un Coran pareil, ils ne le pourraient même s’ils se soutenaient les uns les autres. »  Le numéro 23 de la sourate 2, la vache : « Si vous doutez de la véracité du message que nous avons révélé à notre serviteur, donnez en une sourate semblable et faites venir vos témoins autres que Dieu si vous êtes véridiques ». Le verset 38 de la sourate 10, Younes : « S’ils disent quand même il l’a inventé, dis : apportez donc une sourate qui lui soit semblable et invoquez qui vous pouvez en dehors de Dieu si vous êtes véridiques. » Le verset 13 de la sourate 11, Houd : « Ils diront   il l’a inventé. Dis-leur apportez seulement une dizaine de sourates semblables et demandez l’aide de qui vous pouvez en dehors de Dieu si vous êtes véridiques ».

Ainsi, le Coran invite à l’imitation des sourates comme un chemin qui mène à davantage de réalisation de son message. Le dogme de l’inimitabilité du Coran ( iadjaz) n’ a été établi qu’au IXe siècle et l’histoire de l’islam n‘est pas dépourvue de textes qui imitent les sourates du Coran et son style. Certains sont connus comme la sourate de l ‘éléphant et celle de la grenouille et sans doute le plus célèbre de notre époque est celle du cheikh el-Arifi qu’il a intitulée « la sourate la pomme ». Ce dernier est pourtant un prédicateur qui continue de s’adresser aux musulmans.

Une question se pose donc : si le Coran n’interdit pas l’imitation ou la tentative d’imiter une sourate coranique et que bien au contraire il invite à le faire, pourquoi les musulmans considèrent-t-ils cela comme une offense à l’islam ? D’aucuns pourront dire que le Coran a permis une telle chose uniquement aux non croyants alors que ces deux jeunes filles sont censées être des musulmanes. De ce fait, celui qui le fait est considéré comme apostat. Dans ce cas, ce n’est pas l’imitation du Coran qui pose problème mais l’apostasie, autrement dit la liberté de conscience. Sur ce sujet, il y aurait aussi beaucoup de choses à dire. La première qui est à souligner, lorsqu’on aborde la question de l’apostasie, est le nombre de versets attestant la liberté de croire ou de ne pas croire. 

Pour les musulmans la liberté de conscience ne concerne que les non-musulmans

Cependant, les musulmans ont décidé que cette liberté de conscience ne devait concerner que les non musulmans qui sont libres d’adhérer à l’islam ou de ne pas y adhérer. Ainsi, le principe coranique souvent mis en avant : «il n’y a pas de contrainte dans la religion » ne concerne finalement pas les musulmans, qui n’ont pas le droit de quitter leur religion au risque d’être accusés d’apostasie. Cela explique pourquoi les lois dans les pays musulmans stipulent la garantie de la liberté de conscience, mais interviennent pour punir les individus au nom de la violation du sacré. 

Les « docteurs » de la religion expliquent cela par le fait que l’apostasie nuit à la communauté musulmane. Le Libanais Mohamed Hassan al-Amine affirme à ce propos que « l’athéisme n’est pas puni par la charia, ce qui est puni c’est le fait de l’exprimer ». Le problème est donc moins un souci de foi ou de respect du Coran mais plutôt de politique qui veut veiller à ce que tous les membres de la communauté aient les mêmes comportements. Selon cette logique, la personne n’a pas à avoir peur de Dieu, mais de celui qui dispose de l’autorité politique ou sociale. Les individus peuvent donc faire semblant d’être musulmans, être hypocrites à leur aise sans que cela ne dérangetant qu’ils ne gênent pas la communauté.  C’est un phénomène qui est très répandu dans les sociétés musulmanes. 

La conception que les musulmans ont de l’islam répond à leur valeurs morales et sociales et à leur conception de la société et de la politique

On en déduit donc que la conception que les musulmans ont de l’islam et leur manière de le pratiquer répondent à leur valeurs morales et sociales et à leur conception de la société et de la politique. Pour cela ils ont, d’une part, interprété les textes selon ces critères socio-politiques et, d’autre part, mis en pratique ceux qui les intéressaient en négligeant d’autres. Par exemple, pour justifier et légitimer la violence, ils mettent en avant des versets du Coran tel le numéro 33 de la sourate 5, La Table Servie : « La seule récompense à ceux qui font la guerre à la religion de Dieu et à son prophète, et qui provoquent le désordre sur terre, est qu’ils soient mis à mort… » En revanche, ils négligent le verset 125 de la sourate 16,  Les abeilles , invitant à l’échange et à la discussion : «. Discute avec eux de la meilleure façon, car ton Seigneur est très au courant sur celui qui a perdu son chemin, comme il est le plus informé sur ceux qui ont pris le droit chemin », et le verset 105 de la sourate 5, La Table Servie, recommandant à chacun de s’occuper de ses propres actes : « Ô les croyants ! Vous êtes responsables de vous-mêmes ! Celui qui s’égare ne vous nuira point si vous, vous avez pris la bonne voie. »

Le Coran est sacré pour les musulmans. La vie de l’être humain, sa liberté d’expression et de conscience sont également sacrées, pour tous. 

Le fait que la police soit intervenue en Algérie pour se saisir de l’affaire de la publication de la « sourate corona » et qu’en Tunisie la brigade de la protection sociale ait convoqué Amna pour l’interroger sur le sujet signifie que dans ces deux pays, au lieu de veiller à la sécurité des individus et notamment lorsqu’ils subissent des violences, l’État protège la sacralité d’un texte religieux.  Au lieu que les individus soient égaux devant la loi, celle-ci se met au service d’une catégorie de la population qui revendique un islam conservateur. Le problème se pose en réalité dès lors que l’État se présente comme protecteur de la religion, car cela implique immédiatement :  quelle religion ? Et quel islam ?  Étant donné qu’au sein de la société il y a plusieurs religions et plusieurs islams. 

Or, le premier article de la constitution algérienne stipule que l’Algérie est une République et de même pour la Tunisie. Cependant, l’Algérie précise dans l’article 2 que l’islam est la religion de l’État et la Tunisie affirme dans l’article 1 de sa constitution que l’Islam est sa religion et dans l’article 6 que l’État protège la religion.  Ces ambiguïtés au sein des institutions de l’État de beaucoup de pays musulmans sont dues au fait que les musulmans n’arrivent pas à séparer la religion de la politique. Or, soit l’islam est une politique et à ce moment-là il tombe dans le domaine du profane et l’État n’intervient plus pour punir au nom de la sacralité du texte coranique. Soit il est une religion alors il faut le séparer de la politique.

Pour conclure, il est important de rappeler que le Coran est certes sacré pour les musulmans, ce que personne ne remet en question.  Cependant, au XXI siècle, la vie de l’être humain, sa liberté d’expression et de conscience sont également sacrées, pour tous. 

Razika Adnani 



Article plublié par :

© Le contenu de ce site est protégé par les droits d’auteurs. Merci de citer la source et l'auteure en cas de partage.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *