Médiapart et le racisme systémique

Par Razika Adnani, publié par Le Diplomate
Mediapart a organisé une rencontre sur le thème « La police fait de plus en plus de morts » pour dénoncer la violence policière qu’elle explique par le racisme qui n’a « jamais été aussi élevé » selon ce média de gauche. Le paradoxe, c’est que lors de cette rencontre, Médiapart a véhiculé le plus grand racisme systémique de l’histoire des peuples celui exercé contre les Maghrébins…
Ainsi, dès l’ouverture de la rencontre, le journaliste Mathieu Magnaudeix a répété à plusieurs reprises qu’en France il y avait un racisme envers les Arabes et les Noirs sans évoquer les Maghrébins ou les Berbères alors qu’ils sont en France, au XXe et XXIe siècle, la communauté issue de l’immigration la plus nombreuse. La raison en est qu’avec le terme « arabe » le journaliste désignait principalement les Maghrébins et les Français d’origine maghrébine qui ne sont pourtant pas arabes. Mathieu Magnaudeix n’est pas le seul à appeler les Maghrébins les Arabes. Il s’agit d’une habitude qui est très répandue en France. L’année dernière, c’était le sociologue Edgard Morin, qui connaît pourtant très bien le Maghreb, qui a déclaré dans une interview accordée au journaliste Paul Gasnier, de l’émission Quotidien de TF1, que les grands-pères de Gérald Darmanin et de Jordan Bardella étaient Arabes alors qu’ils étaient Algériens qui sont dans leur grande majorité des Berbères ou des Amazighs.
Appeler les Maghrébins, les Arabes, c’est leur attribuer une identité qui n’est pas la leur, ce qui est psychologiquement très violent, car cela revient à leur nier la leur. Cela revient à leur dire que ce qu’ils sont, c’est-à-dire des Berbères, n’est pas assez prestigieux, voire moche et qu’il est préférable de l’oublier et de s’attribuer une autre identité, celle des Arabes.
Les Maghrébins ne sont pas arabes
Les Arabes sont les populations de la péninsule arabique. Les populations maghrébines, elles, sont Berbères ou Amazighesou encore libyens terme avec lequel ils étaient désignés dans l’antiquité. Le territoire des Berbères est, cependant, plus vaste que le Maghreb étant donné qu’il s’étend des Iles Canaries à l’ouest jusqu’à Siwa (en Égypte) à l’est et de la Méditerranée au nord du Mali et du Niger au sud. Les Berbères sont donc un peuple avec son histoire, son territoire et ses spécificités culturelles et linguistiques. Certes, beaucoup parlent l’arabe aujourd’hui ou une version de la langue arabe qui a été façonnée dans ces pays et par ces populations. Par ailleurs, parler l’arabe ne fait pas d’une personne un Arabe tout comme parler le français ne fait pas de l’individu un Français d’autant plus qu’un grand nombre de Maghrébins continuent de parler aujourd’hui encore la langue de leurs ancêtres le berbère. Quant à l’argument selon lequel les Maghrébins sont Arabes parce qu’ils parlent l’arabe ou que le Maghreb appartient politiquement au monde arabe, il pose davantage problème s’agissant des Français d’origine maghrébine, car ils parlent le français d’une part et, d’autre part, leur pays c’est la France qui n’appartient pas au monde arabe. Pourquoi dans ce cas les appeler des Arabes ?
Cependant, s’agit-il réellement d’une question de langue ? Les documents officiels datant du XIXe siècle montrent que les Français appelaient les populations maghrébines les Arabes alors qu’à l’époque la majorité étaient encore berbérophones. Lorsque Napoléon III est arrivé à Alger le 17 septembre 1860, il a déclaré : « notre premier devoir est de nous occuper du bonheur des trois millions d’Arabes que le sort des armes a fait passer sous notre domination ». Or, les trois millions d’autochtones d’Algérie à l’époque étaient majoritairement berbérophones, beaucoup plus qu’ils ne le sont aujourd’hui. L’historien Daniel Rivet raconte comment la France a créé au XIXe siècle « Les bureaux arabes » pour s’occuper des affaires de la population autochtones en Algérie. Des bureaux qu’elle a créés y compris en Kabylie où la population ne parlait la langue arabe. Daniel Rivet explique cela par le fait que Napoléon III voulait créer un royaume arabe qui s’étende d’Alger à Bagdâd sous la protection de la France assimilant ainsi le Maghreb berbère au Proche Orient arabe.
En réalité, les ambitions politiques de Napoléon III n’expliquent pas à elles seules ce phénomène de négation de l’identité des Berbères. Le sociologue et historien Ibn Khaldûn (1332-1406) raconte dans son ouvrage Histoire des Berbères comment les Berbères eux-mêmes méprisaient leurs origines et s’inventait des généalogies arabes. C’est le cas d’Ibn Khaldoun lui-même qui n’a pas pu échapper au phénomène qu’il dénonçait. Dans mon ouvrage La nécessaire réconciliation, j’explique comment le pouvoir politique qui revient aux Arabes dans la théorie politique chiite et sunnites a poussé les Berbères qui ne voulaient pas abandonner le pouvoir aux Arabes à prétendre avoir des origines arabes. Parce que le pouvoir politique engendre le pouvoir social, les sociétés maghrébines se sont trouvées divisées en castes. D’un côté, celle qui se disait arabe ou d’origine arabe qui se voulait plus noble et qui avait le pouvoir social et politique et de l’autre celle de ceux qui étaient restés attachés à leurs origines et qui étaient reléguées, comme c’était le cas en Kabylie, à la seconde place. Les Berbères ont développé également un complexe d’infériorité vis-à-vis des arabes pour des raisons religieuses. Le malikisme adopté par les musulmans en Afrique du Nord et Subsaharienne revendique la supériorité des musulmans arabes sur les musulmans non-arabes. La langue arabe a été magnifiée par les écrivains et sacralisée par les religieux. Même si beaucoup veulent en finir avec cet auto-racisme, ce problème identitaire est encore très présent notamment chez les Français d’origine maghrébine qui se présentent toujours comme Arabes. C’est le cas de Samia El Khalfaoui, une de participante à la rencontre organisée par Médiapart, qui parlait elle aussi des Noirs et des Arabes comme victimes de racisme en France.
Arabes et a’arabes
Rappelons que dans la langue arabe, le terme arabe a un autre sens. Prononcé a’arabe أعراب , il désigne les bédouins qui ne sont pas assez raffinés dans leurs gestes et leurs comportements. Ainsi, on le retrouve dans le Coran et précisément dans les versets 90, 97, 98, 99 et 101 de la sourate Le repentir et le verset 14 de la sourate 49, Les Appartements. Dans ce sens de nomade, prononcé « aroubi », on le retrouve également dans l’arabe algérien.
Pour en finir, beaucoup de ces populations berbères vivant dans le sud de la Méditerranée, expriment, depuis quelques années, un désir de se réconcilier avec leur identité, leur histoire et leurs origines. Ceux qui vivent en Occident et notamment en France ont du mal à franchir le pas et à en finir avec la mésestime de soi. Le fait de les appeler « arabes » ne les aide pas pour aller vers la réconciliation avec eux-mêmes pourtant indispensable pour une bonne relation avec soi et par conséquent avec les autres (lire Razika Adnani, La nécessaire réconciliation, UPblisher, France, deuxième édition 2017)
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