Le hayek, la burqa algérienne- الحايك، البرقع الجزائري


En Algérie en 2025, des étudiantes portent le hayek lors de la cérémonie de remise de diplômes.
La nostalgie pour le hayek est exprimée, depuis quelques années, par des Algériennes, mais aussi par des Tunisiennes et des Marocaines, qui n’oublient pas, à chaque occasion, de le mettre à l’honneur. Certaines vantent ses atouts esthétiques, d’autres le considèrent comme faisant partie des traditions algériennes qu’il faut mettre en avant et d’autres encore voient en lui un moyen pour contrer une manière de se voiler importée du Moyen-Orient.
Le hayek est le terme qui désigne le voile traditionnel porté par les femmes dans la majorité des villes du Maghreb avec différentes variations et également différentes appellations. Le plus célèbre est celui d’Alger, tissé en soie blanche avec des fils dorés appelé hayek m’rama. Apparu à la fin du XIXe siècle, il fut porté avec une petite voilette, appelée « ajar ,» qui couvrait le visage de la femme à l’exception de ses yeux. Le hayek disparaît dans les années 1980. On n’entendait pratiquement plus parler de lui avant cette nostalgie que certaines femmes lui expriment.
Le hayek plus contraignant pour le corps de la femme
Le hayek avait le même rôle social et politique et la même symbolique que le voile d’aujourd’hui, mais avec beaucoup plus de contraintes pour la femme. Non seulement il couvrait entièrement son corps de la tête aux pieds, mais aussi son visage. Il était imposé aux femmes enfermées à la maison, pour pouvoir en cas de nécessité utiliser l’espace public pour se déplacer d’un lieu à un autre. Dans certaines régions algériennes, les femmes qui portaient le hayek avaient le droit de n’utiliser qu’un seul œil pour marcher dans la rue. Elles ne risquaient pas de faire de longues distances ni de prendre plaisir à se promener.
Que le hayek soit en soie ne change donc rien à son rôle, celui de l’effacement de la femme de l’espace extérieur et de son exclusion du monde du travail et du savoir, ni à ce qu’il représente c’est -à-dire une culture où la société et la politique se font sans les femmes, la moitié de la population. Le hayek n’était pas moins patriarcal et discriminatoire que le voile que les talibans imposent aujourd’hui aux femmes afghanes. C’est la burqa algérienne qui permet à la claustration des femmes de se poursuivre dans l’espace extérieur.
Le hayek, un facteur de pauvreté pour la femme et la société
Étant donné qu’il n’était pas un vêtement, mais un morceau de tissu que la femme devait tenir pour qu’il ne tombe pas, le hayek ne permettait pas à la femme d’utiliser librement ses mains, premiers outils dont la nature a doté l’être humain pour qu’il puisse subsister dans son environnement. Parce qu’il était impossible pour une femme de travailler avec le hayek, les femmes qui le portaient étaient soumises à la domination économique de l’homme et elles étaient davantage victimes de la pauvreté et de la misère que les hommes.
« À la fin du XIXe siècle, Mohamed Abdou, pourtant un homme de religion, a soulevé le problème du voile tel qu’il était porté par les Égyptiennes qui encombraient leur corps, alourdissait leurs gestes et les empêchait d’avoir une liberté de mouvement et d’action. Abdou a affirmé qu’il était impossible pour les femmes, les paysannes notamment, voilées de la sorte d’avoir la productivité nécessaire pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille » ( Razika Adnani, Sortir de l’islamisme, Erick Bonnier, décembre 2024). En réalité, c’est toute la société qui enferme les femmes, la moitié de la population, à la maison ou enferme leur corps dans des tissus les empêchant de participer à l’économie du pays, qui est exposé à la pauvreté. Le grand Averroès a soulevé le lien entre la pauvreté des sociétés musulmanes et la condition des femmes qui étaient mises au service de leur mari et confinées à la reproduction, l’éducation et l’allaitement.
Le hayek, aucune légitimité sur le plan religieux
Bien que sur le plan religieux rien ne justifie cet emprisonnement du corps de la femme dans du tissu étant donné qu’aucun verset coranique ne dit que la femme doit dissimuler sa chevelure ni sa tête, ni son visage et encore moins ses mains et que les musulmans négligent beaucoup de recommandations coraniques sans que cela ne provoque en eux la moindre gêne, la lutte des Algériennes au XXe siècle contre le hayek a été longue et dure.
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Se débarrasser du hayek signifiait pour elles le droit d’étudier et de travailler. En effet, aucune femme n’allait à l’université ou au travail avec le hayek. C’est la raison pour laquelle, on appelait celles qui le portaient « les femmes d’intérieur », en revanche on appelait les femmes qui s’en étaient émancipées « les civilisées ».
L’Algérie colonisée, mais pas coupée du monde
L’abandon du hayek par les Algériennes s’inscrivait dans la mobilisation des femmes partout dans les sociétés musulmanes au début du XXe siècle contre le voile dans toutes ses versions. Avec le soutien de beaucoup d’hommes intellectuels, elles se sont emparées de cette question réservée pendant longtemps au discours religieux qui ne s’était jamais inquiété de l’état social, ni économique, ni psychologique des femmes. Le dévoilement des Algériennes n’était donc pas une manipulation de la France coloniale comme le prétendent beaucoup de journalistes et de sociologues français. L’Algérie était certes sous le colonialisme français, mais n’était pas coupée du monde et en particulier du monde musulman et de ce qui le traversait comme mouvements politiques et courants de pensée.
Le hayek n’est pas le symbole de la guerre de libération
Beaucoup de photos témoignent que ni Hassiba Ben Bouali, ni Djamila Bouhired, ni Zohra Drif, ni Djamila Boupacha, ni Djamila Bouazza, les héroïnes de la guerre de libération, ne portaient le hayek. Celles qui sont montées au maquis portaient des tenues de combat. Il est en effet difficile d’imaginer une femme avec le hayek au maquis en train de se battre contre l’armée française.
Ainsi, même si certains combattants, hommes et femmes, l’ont porté comme déguisement pour éviter d’être fouillés par les soldats français, notamment à la kasba, le hayek ne pouvait pas être le symbole de la guerre de libération. Ilétait le symbole de l’oppression des femmes et de leur enfermement, alors que la guerre de libération portait le message de la liberté et le désir d’émancipation.
Au milieu du XXe siècle, beaucoup d’Algériennes portaient des jupes et des robes de leur époque. Si c’était la France qui avait obligé les Algériennes à se dévoiler, celles-ci l’auraient remis quand elles étaient au maquis loin de la pression de l’armée française et le défilé de 1966 où des jeunes filles algériennes défilaient avec des mini jupes sous le regard bien veillant du Président de la République, Houari Boumediene, n’aurait pas eu lieu. C’est la preuve que le dévoilement des femmes n’était pas une opération forcée de la France qui cherchait à rester en Algérie, mais un désir des Algériens, comme de tout le monde musulman, de se moderniser avant que la riposte des conservateurs menée par les wahhabites, la Confrérie des Frères musulmans égyptienne et les Mollahs iraniens ne l’emporte.
Évoquer les traditions doit se faire avec lucidité
Le hayek fait sûrement partie des traditions de la société maghrébine et particulièrement de la société algérienne. Cependant, évoquer les traditions doit se faire avec lucidité. « Les traditions sont des pratiques sociales que nous héritons de nos aïeux. Parce qu’aucune société humaine n’a atteint la perfection, certaines sont bonnes et d’autres moins. Aussi celles qui étaient bonnes dans le passé peuvent ne plus l’être aujourd’hui. Cela ne diminue en rien le respect que nous leur devons. Dans toute société humaine, le respect des descendants pour leurs aînés et leur mode de vie est habituel. Toutefois, le respect n’impose pas la reproduction de celles-ci indéfiniment et sans réflexion. Cela signifierait que nous répéterions les erreurs de nos ancêtres, si erreur il y a, et entraverions notre évolution. » (Razika Adnani, La nécessaire réconciliation, UPblisher, deuxième édition, page 47). Toutefois, ce que révèle réellement cette nostalgie pour le hayek, c’est l’incapacité des femmes à lutter contre le voile. Elles se consolent alors en défendant un autre voile, celui qui était imposé à leurs grands-mères ou leurs arrière-grands-mères.
Razika Adnani