La société algérienne n’a pas besoin de davantage de conservatisme, mais de civisme et de respect des valeurs humaines



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Tribune publiée par Le Diplomate média https://lediplomate.media/2025/10/tribune-societe-algerienne-pas-besoin-avantage-conservatisme/razika-adnani/monde/mena/

Selon la presse algérienne, la direction de l’Éducation aux établissements d’Alger Est a adressé une circulaire dans laquelle elle précisait l’obligation des écoliers, des collégiens et des lycéens de se conformer à des règles vestimentaires strictes dès le 21 septembre 2025. Dans de nombreux pays, l’État impose en effet des règles vestimentaires aux élèves, déterminant la forme et les couleurs, et ce sont les mêmes pour tous les élèves et surtout elles sont connues d’avance par les parents. Quant à l’objectif, il consiste à pousser les élèves à se concentrer davantage sur leurs études, et non sur leurs vêtements, et à éviter les discriminations sociales entre les riches et les pauvres. C’est une manière d’apprendre aux élèves qu’ils sont tous égaux. Ce n’est pas le cas de la circulaire de la direction de l’Éducation aux établissements d’Alger Est qui ne détermine pas, quand il s’agit des filles, la tenue en question ni sa forme ni sa couleur et ne cite pas dans les objectifs la performance scolaire des élèves.

 La décence, une valeur subjective

Ainsi, si pour les garçons la circulaire précise qu’ils ne doivent pas porter de shorts ni de pantalons déchirés, ce qui revient à dire qu’ils ne doivent porter que des pantalons qui ne sont pas déchirés, pour les filles elle se contente de dire qu’elles doivent avoir une tenue décente sans donner aucune précision concernant les critères de cette tenue dite « décente » qui la distingueraient de celles qui seraient indécentes.

Cela revient à dire que c’est aux directeurs d’établissement de décider de ce qui est décent et de ce qui est indécent. Sachant que les individus ne sont pas tous d’accord sur ces critères, les élèves et leurs parents subiront donc les jugements personnels des chefs d’établissement, qui peuvent varier d’une école à une autre. Autrement dit, les élèves d’Alger Est ne seront pas tous soumis aux mêmes règles vestimentaires, ni aux mêmes règles que dans les autres régions d’Algérie, ce qui éloignera davantage l’école de l’égalité qui est un des objectifs d’imposer la même tenue vestimentaire pour tous les élèves.

Par ailleurs, vu que le domaine de l’éducation en Algérie est celui qui est le plus dominé par le conservatisme religieux et par l’islam politique, la direction de l’Éducation aux établissements d’Alger Est va donc livrer les élèves, et précisément les filles, aux exigences vestimentaires de chefs d’établissement et d’enseignants conservateurs et à leur excès de zèle religieux. Parce que pour eux la tenue décente pour les filles est le port du voile, ils pourront exercer sur elles, à leur aise, une pression pour qu’elles se voilent alors que l’intérêt de l’Algérie est de protéger les nouvelles générations du discours religieux intégriste et fondamentaliste. L’autre problème que pose la circulaire concerne les objectifs visés. Elle précise que la finalité des règles vestimentaires qu’elle impose consistent à préserver les traditions et les valeurs de la société « conservatrice ». Autrement dit, pour elle l’objectif n’est pas la performance scolaire des élèves, mais la préservation du caractère conservateur de la société alors que la société algérienne souffre d’une overdose de conservatisme.

Le conservatisme n’est pas un critère de moralité

Le terme conservatisme vient de « conserver » qui vient du latin conservare qui signifie « préserver ou garder ». Le conservatisme est une théorie philosophique qui considère que les valeurs traditionnelles sont les meilleures et doivent être protégées contre le progressisme. Il s’exprime dans l’attitude d’un individu, ou d’un groupe d’individus, qui demeure attaché aux traditions qui sont les habitudes et les normes morales et sociales héritées des générations précédentes et refuse le changement.

Or, les traditions ne sont pas toutes bonnes étant donné qu’aucune société humaine n’a atteint la perfection et que ce qui était bon pour les générations précédentes ne l’est pas forcément pour les générations suivantes. Beaucoup sont même très négatives aujourd’hui tout comme elles l’étaient hier. C’est le cas de l’infériorisation des femmes qui fait partie des traditions de toutes les sociétés musulmanes. L’infériorisation de la femme est immorale, injuste et indigne des sociétés d’aujourd’hui.

 Le hayek, qui est le voile blanc porté jadis par les femmes au Maghreb fait partie lui aussi des traditions de la société algérienne alors qu’il était un des facteurs de pauvreté des femmes étant donné qu’il ne leur permettait pas de travailler. Une femme qui porte la hayek ne peut pas utiliser librement ses mains, premiers outils dont la nature a doté l’être humain pour qu’il puisse subsister dans son environnement. Parce que les femmes constituent la moitié de la population, le hayek était également un facteur de pauvreté pour la société qu’il privait de la moitié de sa force de travail. Averroès avait d’ailleurs soulevé ce problème des sociétés musulmanes qui se privaient de la participation des femmes à la vie économique. Rappelons qu’il n’y a pas longtemps, en Algérie, les filles n’allaient pas à l’école et cela faisait partie des traditions de la société. Elles n’ont obtenu le droit d’aller à l’école et les femmes celui de travailler que lorsque des intellectuels, dans tout le monde musulman, ont dénoncé les traditions archaïques des sociétés musulmanes et le conservatisme qui les empêchaient d’évoluer, les confinaient dans le sous-développement et les rendaient vulnérables devant les appétits des pays étrangers.

Les Algériens n’ont pas besoin de davantage de conservatisme

Une société est constituée de plusieurs générations et les traditions sont les habitudes des générations passées dont les plus vieux sont logiquement plus proches que les plus jeunes. Dans la société algérienne, le conservatisme est d’ordre religieux. Or, les plus âgés sont généralement plus attachés, pour diverses raisons, aux pratiques religieuses que les plus jeunes. Certes, tout ce qui est récent et jeune n’est pas forcément bien. Cependant, faire du conservatisme une valeur suprême, revient à dire que la société doit conserver le statu quo et fonctionner de ce fait selon les normes et la morale des plus vieux. Les jeunes se retrouvent alors dans l’obligation soit de vivre comme les vieux soit de quitter leur pays pour vivre leur jeunesse.

C’est le cas de l’Algérie où les jeunes, filles et garçons, ne rêvent que de partir en Occident où ils peuvent être libres. La question de l’avenir d’un pays qui ne donne pas d’autre choix à ses jeunes pour être libres que de le quitter se pose fortement. Elle se pose particulièrement à notre époque où les sociétés sont menacées par le vieillissement de la population et où les pays riches, pour garantir leur survie, attirent les jeunes des autres pays.

L’Algérie doit mettre en place une politique qui lui permette de garder ses jeunes chez elles. Elle doit leur garantir un climat qui prend en considérations les besoins des jeunes en matière de loisir et de liberté. Elle doit en revanche leur apprendre le respect de la liberté individuelle, la valeur de l’égalité et de la justice sociale et la sacralité de la dignité humaine. Ce sont des valeurs qui manquent beaucoup en Algérie, car justement elles ne font pas partie des traditions des sociétés musulmanes fondées sur les principes de l’obéissance et de l’inégalité, notamment entre les femmes et les hommes. L’Algérie doit inculquer aux jeunes le sens de la citoyenneté et de la responsabilité de leurs actes, le respect de l’environnement et pourquoi il ne faut jamais le dégrader, le rejet de la violence et pourquoi il ne faut jamais la justifier ni la moraliser, le devoir de respecter l’autre et de ne jamais s’en prendre à lui. Cela doit être le premier rôle de l’Éducation nationale.

Razika Adnani

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2 Commentaire(s)

  1. Michel Rostagnat dit :

    40 jeunes Marocains ont intégré Polytechnique à Paris l’an dernier, aucun Algérien… l’Algérie se tire une balle dans le pied avec ce virage conservateur répressif.

  2. mohamed HAMMADI dit :

    Le texte de l’éminente chercheuse Razika Adnani, analysant la circulaire émanant de la direction de l’Éducation d’Alger est relative aux règles vestimentaires, dépasse la simple critique administrative pour se muer en un réquisitoire philosophique contre l’immobilisme conservateur qui paralyse le système éducatif algérien. La prétendue volonté de “préserver les traditions et les valeurs de la société conservatrice” via une injonction vestimentaire floue constitue, comme le démontre l’auteure, une trahison du mandat fondateur de l’École : celui de former des citoyens éclairés, égaux et aptes à la performance cognitive.

    De l’Injonction Vestimentaire à la Crise Axiologique : Plaidoyer pour l’École Algérienne de la Modernité
    L’Inertie Conservatrice Face au Mandat Émancipateur de l’École
    La question n’est plus celle d’une simple tenue, mais celle de la gouvernance axiologique de la jeunesse. En substituant l’objectif de la performance scolaire par celui de la conformité aux traditions, l’École se livre à une dissonance axiologique profonde. Nous allons examiner comment l’ambiguïté de cette circulaire trahit le principe d’égalité, avant d’analyser la faillite du conservatisme comme critère de moralité, pour enfin plaider, en solidarité avec l’auteure, pour le retour urgent aux valeurs universelles comme socle de la citoyenneté moderne.
    I. L’Ambiguïté Réglementaire : Déni de l’Égalité et Porte Ouverte à l’Arbitraire Idéologique
    L’une des critiques les plus acerbes de l’analyse d’Adnani réside dans la subjectivité réglementaire de la circulaire. En imposant aux filles une “tenue décente” sans en définir les critères formels (forme, couleur, style), les acteurs instaurent, de facto, une inégalité de traitement et délègue le pouvoir de jugement aux directeurs d’établissement.
    A. La Rupture du Principe d’Égalité
    Le vêtement scolaire unifié (l’uniforme) répond à deux objectifs fondamentaux de l’Axiologie éducative : l’égalité sociale (effacer la discrimination entre les riches et les pauvres) et la concentration cognitive.
    En omettant de définir les caractéristiques de la tenue des filles, la circulaire rompt non seulement avec l’objectif de concentration, mais surtout avec celui de l’égalité. L’élève se retrouve soumis non plus à la Loi (règle objective et uniforme), mais au jugement personnel et changeant du chef d’établissement. Cette variation des normes d’une école à l’autre, voire d’une wilaya à l’autre, affaiblit le sentiment d’appartenance à un corps civique national régi par les mêmes règles de droit.
    B. Le Cheval de Troie du Conservatisme Religieux
    L’ambiguïté de la “décence” agit comme un cheval de Troie idéologique. Comme le souligne l’auteure, le domaine de l’éducation en Algérie est souvent perméable au conservatisme religieux. L’absence de définition objective de la tenue “décente” autorise de fait les cadres d’établissements scolaires les plus rigoristes à exercer une pression morale et vestimentaire, visant notamment le port du voile, le port de « l’Abaya féminine » bien loin des impératifs pédagogiques.
    Cette dérive est d’autant plus préoccupante qu’elle cible spécifiquement les filles, renforçant l’idée que l’école est moins un lieu de savoir qu’un espace de contrôle moral et corporel de la femme. L’école, qui devrait être l’avant-garde de l’émancipation, devient ainsi un outil de reproduction des normes sociales les plus archaïques et les plus statufiées.

    II. Le Conservatisme : Une Faillite Axiologique et un Facteur de Régression Sociale
    Razika Adnani opère une nécessaire rupture épistémologique en remettant en question la notion même de “conservatisme” et de “tradition” comme critères moraux supérieurs.
    A. La Tradition n’est pas un Critère de Moralité
    L’auteure rappelle avec justesse que le conservatisme, dont l’étymologie latine « conservare » signifie “préserver”, ne peut être élevé au rang de valeur suprême sans critique. Affirmer que les valeurs traditionnelles sont “les meilleures” revient à postuler la perfection des générations passées, ce qui est absurde dans le cadre de l’évolution humaine. L’argument est frappant : l’infériorisation des femmes était une tradition ; le refus de l’accès à l’école pour les filles était une tradition. Ces pratiques, foncièrement immorales et injustes, ne peuvent être préservées au nom d’un attachement stérile au passé.
    Le conservatisme, lorsqu’il est non critique, est un facteur de sous-développement structurel. L’auteure cite le hayek (voile blanc traditionnel) non seulement comme un symbole d’infériorisation, mais comme un facteur historique de pauvreté sociale et économique en privant la société de la moitié de sa force de travail, argumentant ainsi de manière analogue à Averroès au Moyen Âge.
    B. L’Exil de la Jeunesse et le Risque Démographique
    Le texte met en lumière la conséquence la plus dramatique de cette “overdose de conservatisme” : la fuite des jeunes. Lorsque la société ne donne plus d’autre choix à ses nouvelles générations pour vivre leur jeunesse et leur liberté que de s’exiler vers l’Occident, elle hypothèque son propre avenir.
    Dans un contexte mondial de vieillissement démographique et de compétition pour les talents, cette politique de l’immobilisme est un suicide stratégique. L’École, en se faisant le relai de l’idéologie des “plus vieux” et de la “morale des générations passées”, accentue la fracture intergénérationnelle, voir même la haine et le déni intergénérationnelle, et pousse la force vive du pays vers l’émigration.
    III. Le Devoir de l’Éducation Nationale : Refonder sur les Valeurs Universelles
    Razika Adnani offre ainsi un appel retentissant à la refondation axiologique de l’Éducation nationale, en lui assignant pour rôle prioritaire d’inculquer les valeurs qui font cruellement défaut à la société.
    Face aux principes traditionnels d’obéissance et d’inégalité (notamment entre les genres), l’École nationale doit impérativement instaurer un nouveau socle épistémique basé sur l’universalité :
    1. Le Respect de la Liberté Individuelle et de la Dignité Humaine : Ces valeurs, absolument fondamentales, doivent être sanctuarisées, garantissant que l’individu ne soit pas assujetti au collectif ou à une morale arbitraire.
    2. La Valeur de l’Égalité et de la Justice Sociale : Seule l’égalité réelle, et non symbolique, peut permettre de surmonter les complexes de classe et de genre.
    3. Le Sens de la Citoyenneté et de la Responsabilité : L’éducation doit former un citoyen actif, qui respecte l’environnement, rejette la violence sans jamais la justifier, et est responsable de ses actes (le contraire du fatalisme et de la passivité).
    La dénonciation de Razika Adnani est un acte de résistance intellectuelle d’une noblesse intellectuelle universelle ,il démontre que l’enjeu du système éducatif n’est pas technique, mais éminemment philosophique et axiologique au sens noble. L’ambiguïté d’une simple circulaire vestimentaire révèle la lutte existentielle entre deux modèles de société : celui qui se confine dans un conservatisme stérile et aliénant, et celui qui embrasse la modernité universaliste et l’émancipation de l’esprit.
    L’École, en tant qu’agent de la République, a le devoir impérieux de cesser d’être le gardien des vieilles traditions pour devenir le laboratoire de l’avenir : un lieu où l’on forge, par l’instruction et l’équité, des citoyens libres, réflexifs et capables de relever les défis du XXIe siècle, y compris l’attraction des jeunes pour l’occident.
    Il est impératif de rappeler ici que le sacrifice des martyrs glorieux qui défendaient les valeurs de la république durant la Décennie noire, fut justement livré pour terrasser l’obscurantisme religieux et préserver les valeurs d’une République moderne, civilisée et émancipatrice, et nullement rétrograde. Laisser le terme ‘décent’ ouvert pour les filles est d’autant plus dangereux qu’il abandonne la jeunesse à l’arbitraire, permettant à chaque direction d’établissement d’injecter une idéologie largement inspirée d’un conservatisme religieux hideux et non émancipateur. La seule logique qui vaille est de déterminer une tenue scolaire moderne et universelle qui réponde aux aspirations des enfants et des adolescents du XXIe siècle, une tenue qui symbolise la profession d’écolier du présent et le citoyen illuminé du futur. L’Algérie ne pourra garantir sa survie et sa prospérité qu’en protégeant farouchement ses nouvelles générations de toute tentative d’emprisonnement moral ou idéologique.

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