Razika Adnani ” La seule manière de mettre fin à la crise en Iran est d’en finir avec l’intervention des religieux dans la politique »



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Tribune de Razika Adnani publiée dans le journal Le Monde le 31 décembre 2022

La police iranienne des mœurs fait beaucoup parler d’elle depuis l’arrestation de Mahsa Amini pour un voile inapproprié et sa mort suite à des coups qu’elle a reçus dans ses locaux. De nombreuses vidéos postées sur les réseaux sociaux montrent l’agressivité de cette police tuant des hommes et des femmes parce qu’ils ont une autre conception de la morale ou parce qu’ils réclament leur droit à la liberté et la dignité. 

A l’origine de la police des mœurs se trouve le principe islamique : « ordonner le convenable et dénoncer le blâmable » évoqué dans plusieurs versets coraniques. Des versets que les juristes des premiers siècles de l’islam ont choisis, pour des raisons politiques, au détriment de ceux recommandant le respect des liberté individuelles tel le verset 105 de la sourate 5, La Table servie : « Ô les croyants vous êtes responsables de vous-mêmes, celui qui s’égare ne vous nuira point si vous avez pris la bonne voie »Dans son ouvrage Le perfectionnement des sciences du Coran, le théologien Al-Suyuti (1445-1505) raconte que ce verset a été abrogé par la règle « ordonner le convenable et dénoncer le blâmable ».  

La police des mœurs a comme rôle de veiller au respect des préceptes de l’islam. En réalité, les versets qui évoquent ce principe ne donne aucune précision sur la manière de le mettre en œuvre, ce qui fait que les musulmans se réfèrent davantage à un hadith du prophète dans lequel il aurait dit : « Celui qui voit le mal, qu’il le change avec la main. S’il ne le peut pas, avec la parole. S’il ne le peut pas, avec le cœur et c’est le dernier degré de la foi ». Selon ce hadith, l’individu ne se contente pas de surveiller et de juger le comportement de l’autre. Il intervient également pour l’empêcher de commettre le mal ou pour mettre fin à ce qu’il juge comme étant un comportement immoral. Les musulmans se référent également à la jurisprudence des premiers juristes et théologiensqui ont décidé que ce principe était un devoir moral et religieux que non seulement l’individu devait accomplir, mais aussi celui qui détient l’autorité, c’est-à-dire l’État.

Pour les sunnites, « ordonner le convenable et dénoncer le blâmable » est l’un des principes de l’islam les plus importants. Il est constamment rappelé comme un fondement de toute théorie sociale et morale ; la preuve en est que la police des mœurs existe également en Arabie Saoudite et en Afghanistan. Cependant, il ne figure pas parmi les fondements du dogme de l’islam et de sa pratique dans le sunnisme qui sont la confession de foi, l’aumône, le pèlerinage à la Mecque, la prière et le jeûne, contrairement au chiisme duodécimain, doctrine officielle de l’État en Iran, où ce principe figure parmi les 10 principes de la pratique de l’islam. L’Iran l’a également inscrit dans l’article 8 de sa Constitution.

Supprimer la police des mœurs en Iran n’est pas une chose facile et logiquement ne peut pas revenir à un préfet de police ni à un juge. Lors de sa campagne électorale de 2013, Rohani, qui a été président de l’Iran de 2013 à 2021, a soulevé le problème de ce principe. Pour lui, pratiqué par l’État et les individus, il ne laisse aucune liberté individuelle ni espace privé aux Iraniens. Cependant, une fois au pouvoir, il n’a pas pu faire face aux conservateurs dominant le parlement. Pire l’Iran a créé, en novembre 2021, 1400 unités appelées « unités djihadistes ». Leur rôle est d’intervenir dans tous les secteurs de la société et surtout pour s’assurer que les femmes portent convenablement le voile.

L’Arabie Saoudite n’a pas non plus supprimé la police des mœurs malgré les nombreux scandales de violence et d’atteinte à la dignité des femmes et des hommes et à leurs libertés individuelles. Tout ce qu’elle a pu faire, c’est de limiter le rôle de cette police en lui interdisant d’intervenir physiquement pour se contenter de rappeler à l’ordre toute personne qui ne respecterait pas les règles de l’islam.

Cela fait plusieurs semaines que le peuple iranien s’est soulevé contre l’oppression théocratique. La dissolution de la police des mœurs est certainement une nécessité pour mettre fin à la traque des femmes et des hommes, mais cela n’est pas la solution de la crise politique iranienne. Tout d’abord ce principe est également pratiqué par les individus qui se constituent souvent officieusement en police des mœurs. En Algérie, des hôtels veillent à ce que les couples hétérosexuels qui passent la nuit dans leur établissement soient mariés et, en France, des musulmans demandent à des commerçants, qu’ils pensent être musulmans, de fermer leur boutique pendant la prière du vendredi ou de ne pas vendre de boissons alcoolisées. Ensuite, la cause principale de cette crise est l’imbrication entre le politique et le religieux. Des politiques qui se veulent des défenseurs des intérêts de Dieu et des religieux qui s’agrippent au pouvoir. Non seulement cela n’est pas le sens de l’existence de l’État ni l’objectif du contrat social mais aussi Dieu est l’Être parfait qui logiquement n’a nul besoin de l’État pour le défendre ou le protéger. Sur le plan du dogme, la prétention d’un État à s’occuper des affaires de Dieu confine au blasphème.

Sur le plan du dogme, la prétention d’un État à s’occuper des affaires de Dieu confine au blasphème.

La seule manière de mettre fin efficacement à la crise politique qui traverse l’Iran est de cesser d’utiliser l’islam comme un instrument politique et d’en finir avec l’intervention des religieux dans le domaine politique. Les musulmans doivent évoluer vers cette façon moderne de concevoir la chose politique et la pratique de la religion doit retrouver sa nature première. Quelques soient les problèmes que la laïcité rencontre aujourd’hui, c’est en son sein qu’il faut réfléchir aux solutions et non en renonçant à cette façon moderne d’organiser l’État et la société, conçue pour protéger les libertés des individus dont la première est la liberté de croyance nécessaire   pour préserver la dignité humaine.

Quelques soient les problèmes que la laïcité rencontre aujourd’hui, c’est en son sein qu’il faut réfléchir aux solutions et non en renonçant à cette façon moderne d’organiser l’État et la société, conçue pour protéger les libertés des individus dont la première est la liberté de croyance nécessaire   pour préserver la dignité humaine.

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