“La révolution algérienne : Admirable mais encore fragile”
16 mars 2019
L’Algérie a vécu, depuis le 22 février, au rythme des manifestations pacifiques. Le peuple a exprimé dans la tranquillité son rejet du 5e mandat et revendiqué dans le calme son désir de libérer l’Algérie des mains de ceux qui la tenaient en otage depuis plusieurs années. Sans violence et sans heurt, les Algériens sont sortis de leur silence contrecarrant les hypothèses des plus grands analystes politiques. Ils ont suscité l’admiration du monde entier et surtout rempli le cœur de tous les Algériens de fierté.
Le vendredi 8 mars restera sans doute gravé dans la mémoire des Algériens et dans l’histoire de notre pays. Des millions d’hommes et de femmes ont marché dans toutes les villes du pays avec les mêmes mots d’ordre : la révolution doit être pacifique, le changement doit se faire sans violence. Ils ont manifesté partout de la manière la plus sage, la plus lucide, la plus intelligente et la plus civilisée pour une Algérie démocratique et moderne. Partout, ils ont parlé le même langage. Dans les rues des villes et villages, il n’y avait pas deux mouvements qui s’opposaient. Il y avait un seul mouvement populaire et il s’opposait uniquement au pouvoir.
C’est de cette union, de cette magnifique solidarité que ce mouvement populaire tire toute la force et la détermination qui feront sa réussite.
C’est la raison pour laquelle les Algériens doivent, alors que la révolution entre dans une autre phase, faire preuve d’une très grande vigilance, car tant que les objectifs de leur mouvement ne sont pas atteints, cette révolution demeure fragile. Deux éléments la menacent : le premier est que ce mouvement citoyen extraordinaire se divise, que des clans se forment, s’opposent et conduisent l’Algérie vers la violence, et le pire que le pays sombre dans la guerre civile, le plus grand des maux selon Pascal. Le second est que la révolution soit détournée de ses objectifs et débouche sur une situation qui n’est pas celle pour laquelle le peuple s’est soulevé.
C’est assurément la crainte du premier élément qui a poussé beaucoup d’Algériens à exprimer leur réticence à l’égard de la désobéissance civile. En effet, si une grève générale peut effectuer une pression sur le pouvoir, elle doit être menée avec beaucoup de raison et de prudence. Elle risque d’épuiser le peuple et de le rendre nerveux, deux états psychologiques propices aux réactions violentes. La solidarité qui a fait la force du peuple algérien jusque-là serait alors brisée. Ce qui serait néfaste pour la révolution, dans laquelle beaucoup ont mis leur espoir d’un avenir meilleur, et désastreux pour l’Algérie qui a besoin de stabilité.
C’est également par souci de veiller à ce que cette magnifique révolution ne soit pas avortée qu’il est important de s’interroger par exemple sur l’intérêt d’une «conférence nationale» en ce moment alors que l’Algérie est fragilisée. Dans la situation actuelle du pays, une «conférence nationale» comporte elle aussi un grand risque. Elle suscitera inévitablement d’autres sujets très sensibles qui pourront diviser les Algériens et les éloigneront de leurs revendications essentielles : changer le système, élire démocratiquement leur président et fonder un Etat de droit. Cela sera une bonne occasion pour ceux qui veulent jouer sur cette corde de prétendre encore une fois que les Algériens ne sont pas prêts pour une transition démocratique. œuvrer par étape et consolider avant tout la base de l’édifice est certainement la meilleure manière de conduire un mouvement vers un réel changement.
C’est pour cela que les Algériens doivent aujourd’hui faire preuve d’une très grande vigilance afin que ce mouvement citoyen extraordinaire ne dérape pas. L’Algérie ne supportera pas une autre vague de violence. Elle a connu assez de souffrances et assez de douleurs. Elle n’en veut pas d’autres.
La révolution algérienne doit continuer d’être une révolution de paix. Cela ne doit pas être seulement un mot d’ordre, mais aussi un principe. Quelles que soient les difficultés qu’ils rencontrent, les Algériens ne doivent jamais l’oublier. Quels que soient les obstacles, ce principe doit être le seul à guider leurs pas. Les Algériens doivent également continuer à être au summum de la maturité politique, comme ils l’ont été jusque-là afin de ne jamais oublier que leur révolution est une révolution pour la démocratie et un Etat de droit, son second principe.
Cependant, la réussite de cette révolution n’est pas uniquement la responsabilité du peuple. Elle est aussi celle de l’Etat. Le peuple a démontré qu’il ne veut pas de violence, qu’il veut la modernité, l’Etat doit suivre. La situation du pays ne laisse pas d’autre choix que de le faire. L’Etat doit être à la hauteur de la maturité politique avec laquelle le peuple l’interpelle.
La situation est telle qu’aucun intérêt personnel ne doit prévaloir sur l’intérêt de l’Algérie et du peuple algérien. Il est impératif que nous tous soyons à la hauteur de cette phase difficile mais historique que traverse notre pays. Les Algériens sont contre un système mafieux, mais pas contre l’Etat.
Aucune société ne peut s’organiser sans Etat, tout comme aucun Etat ne peut exister sans le peuple. Il faut mettre tous nos efforts pour que cette révolution soit celle qui propulse l’Algérie vers la modernité et non celle qui lui ajoute une autre blessure. Nous n’avons pas le droit de décevoir encore une fois l’Algérie. Il est temps de lui permettre d’aller vers ce monde nouveau dont elle rêve. Algériens, unissons-nous pour une Algérie de paix et de progrès.