En France, l’islamisme le plus extrémiste se porte bien 



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TRIBUNE. Pour la philosophe Razika Adnani, au-delà du règlement de l’affaire de l’imam Mahjoubi, « il faut que les musulmans portent un regard critique et objectif sur leur religion ». Le Point

La première chose qu’on remarque chez l’imam Mahjoub Mahjoubi, qui a qualifié le drapeau tricolore de « satanique » qui n’a « aucune valeur auprès d’Allah », avant même d’entendre ses propos, est sa tenue. Un Tunisien avec un couvre-chef digne des grands prédicateurs wahhabites. Au Maghreb, les imams portent sur la tête une simple « chéchia » blanche. La tenue de l’imam révèle l’influence du wahhabisme sur sa pratique de l’islam. Ses propos sont donc en adéquation avec sa tenue ainsi que la marque ostensible brune qu’il a sur le front et qui s’inscrit dans le phénomène de l’exhibitionnisme religieux qui est la caractéristique des extrémistes islamistes. L’influence des islamistes fondamentalistes wahhabites sur les musulmans, notamment les Maghrébins et les subsahariens, dont sont originaires la majorité des musulmans de France, n’est pas à démontrer.

Le wahhabisme n’est pas un simple mouvement piétiste apolitique, comme le prétendent certains universitaires tels que Florence Bergeaud-Blackler dans son ouvrage Le Frérisme et ses réseaux(p. 64, 75, 76 et 229 ). C’est une doctrine islamiste où la religion et l’État sont confondus. Elle a mené, à partir du milieu du XXe siècle, une offensive contre toute réforme ou modernisation sociale, politique et religieuse dans le monde musulman. Sa responsabilité dans l’échec du processus de modernisation des pays musulmans et le retour aux pratiques ancestrales et obscurantistes de l’islam est très grande. Présenter le wahhabisme comme une doctrine apolitique, c’est vouloir l’exonérer de toute responsabilité dans la propagation de l’obscurantisme et de l’extrémisme islamistes dans le monde et négliger, par là même, des éléments d’explication et de compréhension indispensables dans l’étude de l’islamisme.

Un drapeau islamiste

Supposons que l’imam ne soit pas contre les « drapeaux tricolores » mais contre les « drapeaux multicolores » comme il le prétend. Le drapeau français est multicolore, il est donc concerné par son discours. D’autre part, ses propos signifient qu’il veut un drapeau unicolore, ce qui rappelle parfaitement le drapeau des groupes extrémistes fondamentalistes. Ils sont unicolores – noir ou vert – sur lesquels sont mentionnés la profession de foi musulmane ou également les noms de Dieu (Allah) et du prophète, tels que celui de Daech et du Hamas. Le drapeau de l’Arabie saoudite, conçu par les wahhabites en 1932, fait partie de cette catégorie. À souligner que l’imam explique que son rejet du drapeau tricolore ou multicolore est dû au fait il ne porte pas « le symbole d’Allah ».

L’imam prétend qu’il « parlait du sport ». Cependant, le problème ne serait pas moins grave s’il parlait réellement de sport, car cela reviendrait à dire qu’il incitait les jeunes musulmans à porter le drapeau de Daech ou du Hamas sur les gradins des terrains de football en France mais également au Maghreb, étant donné qu’il affirme que ses propos s’adressaient aux Maghrébins. Des propos qu’il faut prendre au sérieux car des musulmans qui brandissent ce genre de drapeaux est un phénomène qui est déjà observé lors des manifestations, notamment pro-Hamas, en Occident.

Propos délirants et utopiques

« Toutes les gouvernances vont chuter » est une autre phrase à noter dans le discours de l’imam, qui signifie qu’il veut l’abolition des frontières et qu’il fait allusion au rêve des islamistes extrémistes d’une «oumma » qui rassemble tous les musulmans. Ces propos sont délirants et utopiques. Dans toute l’histoire des musulmans, et depuis que leur territoire géographique s’est élargi, il y a toujours eu, y compris lors des grands califes, plusieurs États qui se sont, de surcroît, toujours fait la guerre, ainsi que plusieurs califes en même temps.

La notion de « oumma » (nation) islamique, si elle est très importante en islam et dans le discours religieux, désigne les musulmans comme une communauté qui croit à la même religion et qui a, de ce fait, les mêmes règles principales d’organisation sociale et non l’abolition des frontières ni la fin des États nations, hormis chez les islamistes extrémistes. L’affaire de l’imam Mahjoub Mahjoubi révèle que l’islamisme le plus extrémiste se porte bien en France et soulève à nouveau l’utilisation des mosquées à des fins politiques. Tous les États progressistes dans les pays musulmans ont échoué face aux islamistes, en grande partie parce que des imams islamistes ont utilisé les mosquées comme tribune politique et pour infiltrer les populations. La décision du ministre de retirer à l’imam son titre de séjour est une suite logique à ses propos. Par principe, celui qui déteste la France ou la menace n’a rien à y faire.

Une imbrication du religieux et du politique

Cependant, elle résoudra un cas particulier, celui de l’imam Mahjoub Mahjoubi, mais pas le problème de l’islamisme et de l’extrémisme et du fanatisme islamiques. Pour lutter efficacement contre l’islamisme, il faut qu’un travail se fasse au sein de l’islam. Il faut que les musulmans portent un regard critique et objectif sur leur religion, qui aura comme finalité de le changer, de le réformer. L’objectif le plus important de cette réforme consiste à dissocier l’islam de sa dimension politique. Le problème, c’est, qu’en France, affirmer que « l’islam n’est pas l’islamisme » est une tradition à laquelle on ne veut pas déroger. Elle signifie que le problème de l’islamisme n’est pas dû à l’islam. « Disons-le d’emblée : assimiler l’islamisme… à l’islam est une erreur ontologique et politique… Politiquement, la confusion est catastrophique », lit-on dans Le Frérisme et ses réseaux. L’ancien directeur de recherche au CNRS, François Burgat, prétend lui aussi que l’islamisme n’est pas l’islam étant donné que l’islamisme n’est apparu qu’à la fin du XIXe siècle. Au sujet de la violence des groupes islamistes, il atteste, dans un entretien accordé à Mediapart en 2017, que « la violence dite islamique ne vient pas de l’islam ». Pourtant, si l’islamisme signifie l’islam politique – autrement dit un islam où la religion et la politique sont imbriquées, hormis lors de la période de la Mecque (610-622) –, l’islam est une imbrication du religieux et du politique. Plusieurs versets coraniques ont une portée juridique, et donc politique, et les musulmans ont opté après de longues discussions pour un islam indissociable de sa dimension juridique comme je l’explique dans mon ouvrage Islam : quel problème? Les défis de la réforme. L’islam n’existe pas sans les musulmans qui le conçoivent et le pratiquent, ni indépendamment du Coran, son livre fondateur, révélé selon la foi musulmane. Quant au qualificatif « catastrophique », il n’est pas une preuve que l’islam n’est pas l’islamisme.

En finir avec « l’islam n’est pas l’islamisme »

Mais le problème ne se résume pas à la conceptualisation des termes. Affirmer que l’islamisme n’est pas l’islam revient à mettre l’islam à l’abri de toute critique et à l’exempter de toute responsabilité quant aux problèmes qui se posent. Une position qui s’aligne parfaitement avec le discours des islamistes et des conservateurs. Eux aussi répètent que le problème « n’est pas l’islam mais les musulmans » dès lors que la moindre critique au sujet de l’islam est émise. Pour eux aussi, le problème réside dans la compréhension et l’interprétation erronées de son message tout comme pour l’auteur du Frérisme et ses réseaux pour qui « l’islamisme (est) un arrangement particulier de la compréhension religieuse ». Les féministes islamiques fondent leur mouvement sur le même principe : en islam, il n’y a pas d’inégalités entre les hommes et les femmes. Les inégalités attribuées à l’islam sont en réalité le résultat d’interprétations masculines fausses. 

On ne peut pas lutter contre l’islamisme quand on affirme que « l’islam n’est pas l’islamisme » ou que le problème est juste une question de mauvaise interprétation de son message. Bien au contraire, cela revient à le soutenir en défendant ses arguments, ceux qu’il utilise pour empêcher tout changement au sein de l’islam, toute évolution et toute réforme. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a lui aussi affirmé, dans un tweet posté le 15 février, que « le radicalisme, l’extrémisme et le terrorisme n’ont rien à voir avec les valeurs de l’islam ». On ne peut pas lutter contre l’islamisme et le nourrir en même temps. Il faut en finir avec ce discours « l’islam n’est pas l’islamisme ». Aucun problème ne peut être résolu sans que les concernés n’aient conscience de son existence et que cette conscience suscite en eux le désir et la volonté de le résoudre.

Razika Adnani

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