De la problématique de la pensée à celle de la raison
La déclaration des muatazilites en faveur de la raison a été mal accueillie notamment par les docteurs de la religion. Ainsi, après la problématique de la pensée (faut-il y recourir ou non ?), c’est celle de la manière d’exercer cette faculté qui a suscité les disputes intellectuelles les plus vives : cette pensée doit-elle être rationnelle ou non ? Doit-elle être soumise au principe de non-contradiction ou aux exigences du coeur ?
Les débats ont opposé deux écoles de pensée : l’une défendant la réflexion et l’autre la récusant ; la première exige que la pensée ne contredise pas les règles de la rationalité, la seconde exige qu’elle ne contredise pas le sens apparent des textes.L’histoire de la pensée musulmane porte la trace des querelles intellectuelles qui ont opposé les muatazilites à leurs nombreux adversaires : les oulémas gardiens de l’orthodoxie tout autant que tous ceux qui prônaient le littéralisme comme méthode d’interprétation et ceux pour qui la religion est une question d’adhésion sentimentale.Les littéralistes, qui n’envisageaient pas une source de vérité autre que la révélation, furent les antagonistes les plus farouches des muatazilites.
Pour eux, si les musulmans sont obligés d’expliquer les versets coraniques, autrement dit de faire appel à leur pensée dans le domaine de la religion, ils doivent respecter les textes ; le vrai est ce qui s’accorde avec leur sens apparent et non avec le principe de non-contradiction comme le préconisent les muatazilites, et le faux est justement ce qui va à l’encontre du sens apparent du texte.Les soufis, pour qui le sens des textes n’apparaissait pas dans les mots, auraient pu être proches des muatazilites.
Cependant, prôner l’idée que la vérité est une question d’inspiration et de coeur et non de réflexion ou de raisonnement les rangeait du côté des adversaires de ces derniers. Les adeptes de la théorie de l’imamat chez les chiites, dont la position épistémologique est fondée sur l’idée de la vérité inspirée à un imam qui la transmetaux fidèles, ne pouvaient pas, non plus, être des alliés du muatazilisme.L’apparition du mouvement rationaliste a donc transformé un débat relatif à la pensée en un autre relatif à la raison bien que ces deux problématiques restent liées ; que les querelles intellectuelles s’orientent vers la question de la raison n’a ni résolu ni mis fin à celle de la pensée. Exiger de celle-ci que son action ne s’exerce que dans le respect du sens apparent des textes est une manière de limiter son rôle en tant que source de connaissance et de montrer de la méfiance vis-à-vis d’elle.
Le débat a donc continué à s’inscrire dans le même contexte épistémologique.Parmi les questions les plus connues, qui ont opposé les muatazilites à leurs nombreux détracteurs, se retrouvent celle de la connaissance du bien et du mal, celle de la liberté et de la prédestination et celle de la nature du Coran. Les aborder permet de se faire une idée sur la pensée muatazilite”.
Extrait de l’ouvrage de Razika Adnani : Islam : quel problème ? Les défis de la réforme publié par UPblisher, France, 2017 et par Afrique Orient, Maroc, 2018