Châtiments corporels et discriminations -Focus sur les sujets du baccalauréat 2023
Publié par le journal algérien l’Expression
En 2023, l’école algérienne apprend aux élèves qu’en matière d’héritage donner à la femme la moitié de la part qui revient à l’homme est juste, alors que toute inégalité pour des considérations de sexe est une discrimination qui ne doit ni exister, ni être tolérée. Alors que la Constitution algérienne précise dans son article 37 qu’aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe ne peut prévaloir.
Les orientalistes ne sont pas les seuls à avoir critiqué les inégalités successorales
La question du baccalauréat de 2023, épreuve « sciences islamiques » va encore plus loin. Non seulement elle affirme que ce partage est juste mais aussi demande aux candidats de démentir les orientalistes qui le critiquent et l’accusent d’être injuste. La question ne donne aucune chance aux candidats d’avoir un autre avis, ou de réfléchir par eux-mêmes étant donné qu’elle précise que ce sont les orientalistes qui critiquent ce partage, ce qui sous-entend qu’un musulman ne peut pas le critiquer. Ainsi, le candidat n’a d’autre choix que de l’approuver de peur d’être accusé d’orientalisme.
Pourtant, beaucoup de musulmans de conviction ou de culture ont critiqué ce partage tels le Président tunisien Béji Caïd Essebsi qui a même lancé en 2018 un projet de loi pour instaurer l’égalité successorale entre les hommes et les femmes et en finir donc avec ce partage injuste. Je l’ai moi-même critiqué notamment dans mon ouvrage Le blocage de la raison dans la pensée musulmane qui a été publié en 2011 au Maroc, un pays musulman.
Un argument fallacieux
Les islamistes et les conservateurs, autrement dit ceux qui veulent que la société et la politique soient organisées selon les règles du droit musulman et qui ne veulent rien changer de ces règles mises en place entre le VIIe siècle et le Xe siècle, s’appuient sur deux arguments pour affirmer que les inégalités successorales sont justes. Le premier concerne le Coran. Pour eux, parce que cette règle est inscrite dans le Coran elle ne peut qu’être juste et surtout appliquée.
Cet argument est fallacieux, étant donné que beaucoup de règles qui sont évoquées dans le Coran ne sont pas mises en pratique par les musulmans telles que l’esclavage qui est inscrit dans au moins 25 versets coraniques et qui n’existe dans aucun texte de loi des pays musulmans. La liberté individuelle est également inscrite dans le verset 105 de la sourate 5, La Table Servie : « Ô les croyants vous êtes responsables de vous-mêmes celui qui s’égare ne vous nuira point si vous avez pris la bonne voie ». Ce verset n’empêche pas les musulmans de nier la liberté individuelle notamment lorsque cela concerne le domaine de la religion. Le théologien Al-Suyuti (1445-1505) explique dans son ouvrage Le perfectionnement des sciences du Coran, que le verset 105 de la sourate 5, La Table Servie a été abrogé par la règle « ordonner le convenable et dénoncer le blâmable ». Un choix imposé, dès les premiers siècles, par la politique et le besoin d’avoir la mainmise sur les individus, par les califes, mais aussi par les juristes (les fuqahas). Les musulmans interdisent également la consommation de vin autorisée pourtant dans au moins deux versets coraniques : le verset 67 de la sourate16, Les Abeilles, et le verset 43 de la sourate 4, Les Femmes. Ils ne mangent pas le porc même en cas de grande famine alors que le Coran l’autorise en cas de nécessité comme le précisent les versets 3 de la sourate 5, La Table Servie, et 173 de la sourate 2, La Vache. Ils ne se dirigent pas lors de la prière vers la mosquée de Jérusalem comme l’ordonne le verset 144 de la sourate 2, La Vache.Faire croire aux élèves que les inégalités successorales doivent être appliquées car inscrites dans le Coran, c’est ne pas leur dire la vérité, c’est les tromper délibérément.
Le second argument, qui est une justification du premier, est celui qui prétend que la femme n’est financièrement responsable ni de ses parents, ni de ses enfants, ni même d’elle-même. La responsabilité financière incombe en revanche totalement à l’homme. Il est donc juste que celui-ci prenne le double de la part qui revient à la femme en matière d’héritage.
Un argument qui se contredit avec la réalité
Cet argument, qui remonte à des siècles en arrière, se contredit avec la réalité. La femme est, et a toujours été, responsable sur le plan matériel et financier de sa famille et d’elle-même. Étant donné qu’il s’agit de l’islam, rappelons que le prophète lui-même dépendait, lorsqu’il était l’époux de Khadîdja, de l’argent de celle-ci qu’elle dépensait pour lui et pour leur famille. C’était elle qui était donc la responsable financière de la famille. Une femme qui ne dépense son argent que pour répondre à son besoin personnel, comme le prétend le discours religieux, est une utopie. Le sentiment de responsabilité envers les siens, est d’ailleurs beaucoup plus développé chez les femmes que chez les hommes, comme le confirme Muhamed Yunus, l’économiste bangladais qui a fondé en 1976 la première institution de microcrédit, expliquant pourquoi « sa banque accorde 95 % de ses crédits aux femmes ».
L’idée de la non-responsabilité financière de la femme est aujourd’hui d’autant plus absurde que les femmes travaillent pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Même celles qui choisissent de rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants et de leur maison, elles sont financièrement responsables, car avec leur travail à la maison, non seulement elles permettent à leur mari de s’occuper de son travail à l’extérieur de la maison, mais aussi elles économisent l’argent des gardes d’enfants et des employés de maison. Le revenu du mari n’est donc pas son argent propre mais celui du couple qu’ils ont gagné tous les deux en tant qu’associés pour le bon fonctionnement de la famille.
Toutefois, les femmes ne sont pas toujours des épouses. Certaines ont choisi le célibat et d’autres sont divorcées ou veuves et souvent avec la responsabilité de s’occuper toutes seules de leurs enfants. Le partage inégal des biens de la famille les exposent de ce fait à la pauvreté deux fois plus que les hommes. Même si on se référait au droit musulman, le partage inégal des biens de la famille entre les hommes et les femmes pose un grand problème étant donné que les premiers juristes de l’islam, tels que al-Chatibi du XIVe siècle, affirment qu’une loi ne doit pas être appliquée automatiquement et aveuglement. Elle « doit avoir comme objectif la protection des personnes : leur dignité, leur santé, leur éthique et leur religion. Or, c’est justement dans des situations de pauvreté que la personne a davantage de difficulté à protéger sa dignité, sa santé, son éthique et sa religion » ( Razika Adnani, Le blocage de la raison dans la pensée musulmane, Afrique Orient 2011).
Ce n’est pas la seule question de l’examen du baccalauréat de cette année qui ne peut pas passer sans nous interpeller. La seconde est celle concernant les châtiments corporels qui n’a pas elle aussi demandé aux candidats de dire, au moins, ce qu’ils pensaient de ces châtiments, ni pourquoi aujourd’hui ils s’opposaient aux droits humains et au respect de la dignité humaine, ni encore pourquoi les pays musulmans les avaient abolis à l’exception de certains régimes intégristes et fanatiques. Elle leur a demandé en revanche d’expliquer leur intérêt.
Un discours religieux et fanatique domine le domaine de l’enseignement
Il y a quelques années, bien que l’école ne soit jamais séparée de la mosquée, elle apprenait néanmoins aux élèves que le châtiment de la main coupée avait été aboli par le calife Omar. Aujourd’hui on leur apprend que ce châtiment corporel ainsi que d’autres sont justes et ont beaucoup d’intérêt. Cela révèle la domination du courant religieux conservateur et fanatique dans le domaine de l’enseignement, mais aussi dans la manière d’enseigner la religion qui est en réalité un enseignement du droit religieux plus que de la religion proprement dite, c’est-à-dire de la spiritualité ou de la théologie. On apprend donc à l’élève non seulement des règles juridiques d’une époque révolue, étant donné que ce droit musulman a été mis en place entre le VIIe siècle et le Xe siècle, mais aussi des règles instituant les discriminations et encourageant la violence étant donné que la mutilation physique est l’une des plus atroces violences.
Le discours religieux ne veut pas évoluer
Si le discours religieux voulait évoluer, il y a dans le Coran ce qui lui permet de le faire. Beaucoup de versets évoquent par exemple la repentance, al-tawba, et affirment l’idée d’un Dieu miséricordieux qui accepte la repentance de toute personne sincère. Or, accepter la repentance, c’est permettre à l’individu de tourner la page et d’engager une vie nouvelle sans péché. Peut-on parler d’une nouvelle vie quand on a la main coupée, rappelant le péché passé? Le verset 70 de la sourate 17, le Voyage Nocturne, affirme que Dieu « a honoré l’être humain ». Honorer l’être humain c’est respecter sa dignité alors que la mutilation du corps constitue la plus grande atteinte à la dignité humaine. Les deux exemples démontrent que le problème réside davantage dans le manque total de volonté du discours religieux de changer ou d’évoluer que dans les textes coraniques eux-mêmes.
Razika Adnani
1 Commentaire(s)
Des sujets pareils? Effrayant !!!! Les algériens ont eu 200 000 victimes égorgées, explosées, mutilées dans des conditions atroces et ils semblent complètement amnésiques, prêts à refaire avec fierté les mêmes horreurs, avec l’assentiment d’un ministère de l’éducation moribond, c horrible !