Al-Joulani : le choix de la mosquée, un signal islamiste sans ambiguïté
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Razika Adnani, philosophe et islamologue franco-algérienne, autrice de « Sortir de l’islamisme » (Erick Bonnier) explique en quoi la chute de Bachar al-Assad et l'arrivée au pouvoir d'Abou Mohammed al-Joulani, le chef du groupe islamiste fondamentaliste Haïat Tahrir al-Cham, signent la fin d'une période de modernisation de la société et de l'État en Syrie, et le retour à la tradition des califes et des émirs. Marianne
L’arrivée d’Abou Mohammed al-Joulani, le chef du groupe islamiste fondamentaliste Haïat Tahrir al-Cham, au pouvoir en Syrie et la chute de Bachar al-Assad signent la fin d’une histoire importante de la Syrie et de tout le monde musulman. Celle de la nahda, période de modernisation de la société et de l’État voulue par des intellectuels et des politiques au XIXe siècle.
Leur objectif était de sortir leurs sociétés du sous-développement, de l’archaïsme des traditions et du conservatisme religieux afin qu’elles ne restent pas en retrait de la civilisation moderne. C’était l’époque où la civilisation occidentale, considérée comme une civilisation de l’humanité, était admirée pour ses valeurs et ses réalisations.
La nahda, un projet exceptionnel
Certes, la nahda avait ses limites. Ceux qui la portaient n’avaient pas pu eux-mêmes se libérer totalement du poids du passé et des traditions. Dans le domaine politique, le principe de l’obéissance était l’un de ces empêchements. Il tire sa légitimité du Coran : « Obéissez à Dieu obéissez au prophète et à ceux qui détiennent l’autorité parmi vous », verset 59 de la sourate 4, Les Femmes. Il « s’oppose non seulement à la liberté, mais aussi à l’égalité, puisque celui qui obéit n’a pas les mêmes droits que celui à qui il doit obéissance, c’est-à-dire à celui qui a l’autorité» (Razika Adnani, La nécessaire réconciliation, UPblisher, deuxième édition, p. 43).
D’autre part, l’être humain qui aime la domination de l’autre trouve dans cette injonction coranique ce qui lui permet de légitimer son désir et de l’exercer dans l’outrance. Certes, dans un système fondé sur l’obéissance politique et morale comme vertu « le plus fort n’a aucun scrupule à utiliser la violence pour faire respecter son droit à être obéi, ou ce qu’il considère comme tel».(Ibidem, p. 47.)
Malgré ces limites, les réformes de la nahda étaient extraordinaires pour le monde musulman. En l’espace de quelques années, le changement de la société était spectaculaire et notamment dans les domaines où il paraissait impossible. Les femmes ont acquis des droits qu’elles n’avaient jamais rêvé d’avoir auparavant : sortir de la maison, ne pas porter le voile, s’instruire et travailler. Les minorités religieuses ont été affranchiesdu statut d’infériorité qu’on leur imposait. Bien qu’il soit évoqué dans des textes coraniques et réglementé par la jurisprudence des anciens. Le premier à l’avoir abolie est le sultan Abdulmajid 1er, calife ottoman, dans une Charte impériale publiée en 1839. Le changement créé par la nahda était tel qu’aujourd’hui encore on s’émerveille devant les images qui l’ont immortalisé (lire sur le sujet mon ouvrage Sortir de l’islamisme, éditions Erick Bonnier, décembre 2024.)
La riposte des islamistes et des conservateurs
Cependant, la riposte des islamistes et des conservateurs qui voyaient ces réformes comme une foudre qui s’était abattue sur les musulmans et l’islam était féroce. En profitant des événements politiques et géopolitiques, ils ont réussi non seulement à interrompre ce processus de modernisation, mais aussi à effacer progressivement ce qui a été réalisé notamment dans le domaine des libertés et de l’égalité. Leur objectif était de retrouver le modèle de l’État et de la société d’avant le XIXe siècle comme si la nahda n’avait jamais existé. La chute d’Assad, qui cède la place aux islamistes fondamentalistes, est l’événement qui prouve que la Syrie a carrément, car le retour en arrière a touché tous les pays musulmans, tourné la page de cette période importante, malgré la dictature, de l’histoire du pays rejoignant ainsi l’Afghanistan, l’Irak, Gaza et la Libye.
Des intentions islamistes explicites
Bien qu’il soit un islamiste avéré et ancien membre d’al-Qaïda, al-Joulani, le nouveau maître de la Syrie, suscite des interrogations sur ses vraies intentions. Pourtant, en choisissant, en arrivant à Damas, de faire son premier discours à la mosquée des Omeyyades, il a donné au monde entier une preuve ne laissant aucune ambiguïté quant à ses intentions islamistes. Étant donné qu’avec ce choix politique, il renoue clairement avec la tradition des califes et des émirs qui faisaient leur investiture politique et obtenaient le serment d’allégeance de la population à la mosquée. Il exclut d’emblée les minorités religieuses et les femmes de la vie politique, vu que l’accès à ce lieu de prière et de réunions politiques est interdit aux femmes par les religieux qui sont toujours des hommes. Ainsi, avec son apparition comme homme politique, au milieu de la foule constituée d’hommes seulement dans une mosquée omeyyade, al-Joulani a effacé tout ce qui a été réalisé dans le domaine de la modernisation de la société et de l’État en Syrie et a envoyé un message aux chiites, dont font partie les alaouites, que les sunnites sont à nouveau les maîtres du pays. Rappelons que les Omeyyades, qui étaient des sunnites, sont considérés par les chiites comme ceux qui ont massacré Hossein, le petit-fils du prophète, à Karbala. C’est un événement douloureux qu’ils commémorent depuis des siècles chaque année à Karbala, en Irak.
Les islamistes du HTC, renvoient la Syrie dans la période d’avant la nahda
Le choix de la mosquée des Omeyyades pour le premier discours d’al-Joulani à Damas est un acte politique renvoyant la Syrie dans la période avant la nahda et la place très loin de la Constitution de 1930 qui stipule dans son article 6 qu’« il ne sera établi entre eux (les Syriens) aucune inégalité de traitement du fait de la religion, de la confession, de la race ni de la langue ».
Al-Joulani enterre ainsi cette époque de modernisation en Syrie. Il faut donc s’attendre, à la manière des talibans, à des annonces de règles pour enfermer les femmes, marier les filles dès l’âge de 9 ans et soumettre les non-musulmans au système de la dhimmitude. Les islamistes savent qu’ils peuvent le faire dans un monde secoué par des bouleversements politiques et géopolitiques majeurs en ce début du XXIe siècle. Ils sont conscients que la communauté internationale leur trouvera des excuses pour les accepter quel que soit leur piétinement des droits et libertés comme elle le fait avec les talibans.
Il n’y a donc aucun doute que Bachar el-Assad était un affreux dictateur. Cependant, il n’y a aucun doute non plus qu’une époque sombre commence en Syrie avec l’arrivée des islamistes les plus fondamentalistes au pouvoir.
Razika Adnani
1 Commentaire(s)
Franchement, en tant qu’amazighophone je vous dis qu’après tout, si l’arabisation et l’Islam qui va avec se répandent tellement vite et massivement, alors que tous les arabêtisés s’entre-tuent et nous aurons la paix !