Razika Adnani “Pourquoi il ne fallait pas tuer Charlie”



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Le siège du journal satirique Charlie Hebdo a été attaqué. Plusieurs dessinateurs et employés ont été assassinés. Bien que la consternation et le chagrin soient incommensurables et que tous, nous trouvions cet acte ignoble,  une question circule et hante les esprits : Charli Hebdo n’a-t-il pas provoqué ses agresseurs? Certains posent la question alors que  d’autres en sont persuadés.

Provocation : un mot qui revient souvent dans les discours pour justifier la violence

Justifier la violence par la provocation revient à dire que le responsable de la violence n’est pas l’agresseur mais la victime, puisqu’elle est à l’origine de l’acte. L’agresseur, quant à lui, n’est que l’exécutant. Selon cette logique, celui qui ne veut pas être victime de la violence n’a qu’à éviter de provoquer l’autre.  Comment faire ? Un acte est provocateur quand il heurte les goûts, les convictions, les habitudes ou qu’il entrave les intérêts, les désirs. Pour éviter de provoquer, il serait donc nécessaire de ne rien faire qui puisse choquer l’autre dans ses certitudes, ou encore aller à l’encontre de ses ambitions… Ce qui est totalement impossible, sauf à ce que nous nous comportions tous de la même manière, réfléchissions tous de la même façon, ayons tous les mêmes opinions, les mêmes convictions…bref, sauf à ce que nous soyons tous la copie conforme d’un seul et unique modèle. ” Totale utopie, car même dans les communautés les plus fermées et les plus petites, il y aura toujours des différences. Chacun est unique. L’autre n’est jamais moi. Considérer la différence comme une provocation revient à dire que vivre en société, c’est être constamment en situation de provoquer ou d’être provoqué. Quelle société aurions-nous alors si la provocation justifiait la violence ?”(1)

Justifier la violence par la provocation revient à dire que le responsable de la violence n’est pas l’agresseur mais la victime, puisqu’elle est à l’origine de l’acte. L’agresseur, quant à lui, n’est que l’exécutant.

Justifier la violence par la provocation donne raison à ceux qui refusent la différence dans tous ses aspects, qui nient à l’autre le droit d’exposer librement ses idées. Or interdire à une personne de s’exprimer, c’est la mettre en prison, prison de l’âme et de l’esprit. Rien de plus dramatique pour l’individu et pour la société. Pour prospérer, une société a besoin d’une pensée dynamique, capable de créer des idées originales. Or toute idée neuve et originale porte en elle le risque de choquer et de provoquer. Si certains sont violentés en raison de leurs idées, la pensée finira par se taire et à force de se taire, elle finira par perdre sa vitalité et s’atrophier. Celui qui empêche une idée de s’exprimer, si elle va à l’encontre de la sienne, prive sa propre pensée de cet élément indispensable à son épanouissement. Celle-ci se nourrit et se renforce des contraintes et des obstacles qu’elle rencontre. Ce sont des stimuli qui la poussent à se dépasser, à  produire des idées nouvelles et originales et l’idée adverse en est le meilleur exemple. 

Justifier la violence par la provocation donne raison à ceux qui refusent la différence dans tous ses aspects, qui nient à l’autre le droit d’exposer librement ses idées. Or interdire à une personne de s’exprimer, c’est la mettre en prison, prison de l’âme et de l’esprit.

Les musulmans devraient être les premiers à savoir combien une pensée qui ne se heurte pas à l’adversité s’achemine vers sa décadence. L’histoire raconte comment la civilisation musulmane a été créée dans un climat intellectuel où toutes les tendances avaient le droit de s’exprimer. À Bagdad, les débats et les discussions philosophiques, théologiques, exégétiques et juridiques étaient permanents dans les  cafés, les mosquées et jusqu’à la cour des califes eux-mêmes. Dans un tel climat, pour exister, un seul moyen est possible : trouver l’argument décisif poussant sans arrêt la pensée à produire ses idées les plus novatrices.  Cette richesse ne s’est pas limitée aux sciences religieuses mais a concerné tous les autres domaines du savoir. La décadence a commencé au moment où les littéralistes, qui se sont dressés contre la pensée, ont fini, vers le XIIe siècle, par triompher. Ils ont décidé d’en finir avec cette multiplicité d’opinions et de débats d’idées qui altéraient, selon eux, la vérité divine. Ils voulaient une seule pensée, une seule façon de voir : la leur.  La victoire du courant littéraliste a été néfaste aussi bien aux autres courants qu’à lui-même. Rassurée par sa victoire et ne trouvant plus d’adversaire, la pensée littéraliste s’est, elle aussi, atrophiée. 

Cependant, certains pensent que Charlie Hebdo a touché les musulmans dans ce qu’ils ont de plus précieux, leur prophète. Pour tout croyant convaincu des qualités du prophète, fort de ses sentiments envers lui, ces caricatures ne peuvent ni faire douter ni ébranler sa foi, ni lui donner le sentiment d’être menacé. Alors le besoin d’agresser pour se défendre ne se pose pas. Cela n’empêche pas de répondre et celui qui s’oppose par ses idées reconnaît à son adversaire un droit de réponse contrairement à celui qui le fait par l’épée,  Razika Adnani

(1) Razika Adnani, la nécessaire réconciliation, UPblisher deuxième édition 2017, p. 97.  


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Remarque : le titre de l’obs, qui a publié l’article, non seulement n’est pas celui que Razika Adnani a choisi pour son texte, mais s’oppose également à sa position de la justification de la provocation.

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