Razika Adnani – Maghreb : le problème identitaire et ses répercussions.



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Extrait de la conférence :

Le terme Maghreb vient de l’arabe « maghreb » qui signifie le couchant. Il représente l’ouest du monde musulman ou une zone géographique située au nord de l’Afrique et au sud-ouest de la Méditerranée. Il englobe la Tunisie, l’Algérie et le Maroc. Quant au grand Maghreb, il inclut, en plus de ces trois pays, la Libye et la Mauritanie. `

Selon les historiens, le premier peuple connu qui a occupé le Maghreb sont les Berbères, ou les Amazighs ou encore Imazighenes. D’autres peuples sont venus s’installer dans certaines régions du Maghreb et se sont mêlés à ce peuple autochtone, tels que les Phéniciens, les Romains, les Vandales, les Byzantins, les Arabes, les Turcs, les Français, les Italiens et les Espagnols. Cependant, les études montrent que les Berbères représentent durant toute l’histoire de cette région la composante dominante de la population.

Sur le plan religieux, avant l’islam, les Berbères étaient païens, juifs et chrétiens. L’islam est arrivé au Maghreb au VIIe siècle. Au départ, pour défendre leur terre, les Berbères ont résisté aux Arabes puis ont fini par embrasser la nouvelle religion. L’islamisation du Maghreb s’est faite sur plusieurs siècles, deux selon l’historien Gabriel Camps. Elle a été accompagnée d’une arabisation, encouragée par la majorité des souverains berbères. Elle a concerné généralement les grandes villes alors que les zones rurales sont restées davantage berbérophones, même si la langue berbère ou tamazight s’est beaucoup imprégnée de la langue arabe en tant que langue du Coran et de la civilisation de l’époque, c’est-à-dire du Moyen Âge. La langue arabe, parlée au Maghreb, qui est née sur le territoire maghrébin, a elle aussi conservé plusieurs mots berbères en son sein. Plus tard, avec l’arrivée des Français, les deux langues, l’arabe maghrébin et le berbère, ont également emprunté beaucoup de mots à la langue française. L’arabisation accélérée après l’indépendance de ces pays avec l’arabisation de l’école, la montée du fondamentalisme et de l’islamisme et l’ouverture médiatique sur les pays du Moyen-Orient a fait que les termes d’origine française sont de plus en plus remplacés par des mots arabes.

Ces quelques critères qualificatifs du Maghreb permettent de reconnaître cette zone sur une carte géographique, de la distinguer sur le plan culturel et ethnique parmi d’autres territoires et de l’identifier. Autrement dit, ce sont des éléments qui représentent l’identité ou une partie de l’identité du Maghreb. L’identité est donc un ensemble de critères ou de marqueurs permettant de distinguer une chose, une personne ou un groupe de personnes parmi d’autres. Concernant la personne, la date et le lieu de sa naissance, son nom et son prénom, les noms de ses parents et de ses grands-parents sont des composants constants de son identité personnelle. Ils sont complétés par d’autres, moins constants, tels que la religion, la langue et la nationalité et d’autres moins constants encore tels que la fonction que la personne exerce ou sa situation familiale.

L’identité ne permet pas seulement aux autres d’identifier la personne, elle permet aussi à celle-ci de s’identifier autrement dit, de prendre conscience d’elle-même. L’identité est un élément très important dans la conscience de ce que nous sommes. “Elle est l’empreinte existentielle qui permet de répondre à la question : qui suis-je ?” Les personnes, par exemple, qui ne connaissent pas qui sont leurs parents racontent souvent qu’elles ne savent pas qui elles sont. Les amnésiques déclarent également ne pas savoir qui ils sont.

Ainsi, l’histoire d’un individu : ce qu’il a vécu dans le passé, la vie de ses parents et de ses grands-parents, celle de la grande famille à laquelle il appartient, est une partie intégrante de son être, de ce qu’il est, autrement dit de son identité. De ce fait une personne qui rejette ou dénigre son histoire, qui ne reconnaît pas ses parents ou qui déteste le nom de sa famille a un problème avec l’image qu’elle a d’elle-même, avec ce qu’elle est, autrement dit avec son identité, et il est de même pour un peuple.

Razika Adnani

Compte rendu de la conférence de Razika Adnani (Euromed IHEDN)


Maghreb, le problème identitaire et ses répercussions
Marseille le 13 et Paris le 14 novembre
Dans cette conférence, Razika Adnani livre une étude psycho-historique du problème identitaire au Maghreb. Son objectif est d’analyser les causes de ce problème et ses répercussions au sein du Maghreb et au-delà des frontières maghrébines afin d’y remédier.

Son exposé commence par rappeler que selon les historiens les premiers peuples connus qui ont occupé le Maghreb sont les Berbères ou les Amazighs ou Imazighenes. Bien que mélangés aux nombreux peuples qui sont venus s’installer dans certaines régions du Maghreb, les Berbères représentent durant
toute l’histoire de cette région la composante dominante de la population. Pourtant « la majeure partie de la population (maghrébine) se dit et se croit d’origine arabe », comme le précise l’historien Gabriel Camps, et rejette l’histoire ancienne de son pays. Ces attitudes constituent les deux signes les plus
significatifs du problème identitaire au Maghreb.

Ce problème n’est pas nouveau, car il a déjà été soulevé par Ibn Khaldûn, et touche toutes les couches de la société. L’Émir Abdelkader par exemple considère dans « Le livre d’Abdelkader » que le peuple berbère, son propre peuple, ne fait pas partie de ceux méritant qu’on parle d’eux. Pour expliquer cette appréciation, trois éléments peuvent être avancés. Tout d’abord, celui de la religion. En s’appuyant sur Ibn Khaldûn qui rapporte que les Berbères ont déployé un excès de zèle pour faire respecter les recommandations de l’islam, Razika Adnani explique que cet excès de zèle a poussé les Berbères à développer une forme de honte vis-à-vis de leurs ancêtres qui ont combattu les premiers conquérants arabes et une culpabilité envers l’islam pour ne pas l’avoir accepté spontanément. Cet état psychologique les conduit à rejeter et à renier leur histoire ancienne. Leur amour excessif pour la nouvelle religion a créé chez eux le complexe de ne pas être arabes, de ne pas faire partie de ce peuple que Dieu a choisi pour lui confier une tâche aussi importante que celle de transmettre son message.
Ce constat n’est pas une simple déduction spéculative, mais une conclusion tirée
de l’analyse des propos de beaucoup de Magrébins lorsqu’ils évoquent leur
histoire ancienne, et aussi des textes de la littérature maghrébine. Ceux de l’Émir
Abdelkader et de Ben Badis illustrent ce point de vue. Le malikisme, la doctrine
la plus répandue au Maghreb, porte aussi une grande responsabilité à l’égard de
cette image négative des Berbères pour leur origines et de leur désir d’être
arabes. Fondée sur la supériorité des Médinois sur le reste des musulmans, cette
doctrine a accentué le complexe d’infériorité des Berbères qui l’ont adoptée.
Le pouvoir a lui aussi beaucoup à voir dans l’émergence de ce problème
identitaire. Devant les nouveaux conquérants, les Arabes, qui
revendiquaient la légitimité politique, et une population qui les vénérait,
beaucoup de Berbères qui aspiraient à accéder au pouvoir ont trouvé dans
l’astuce de prétendre avoir des origines arabes et des liens de sang avec le
prophète, un moyen pour bénéficier de la légitimité à revendiquer le
pouvoir. Ceux qui n’accédaient pas aux fonctions politiques, pouvaient
prétendre aux fonctions sociales, ils ont eu le titre de « chorafas », qui veut
dire nobles, très répandu y compris dans les régions berbérophones jusqu’
à une date très récente.
Enfin, la langue berbère ou tamazight. Le fait qu’elle soit une langue orale
porte une importante part de responsabilité dans l’image négative de soi
dont souffrent les populations maghrébines. N’ayant pas été une langue de
culture et de pouvoir, le tamazight a toujours renvoyé à l’illettrisme et à la
ruralité face aux autres langues : le grec et le latin, et par la suite la langue
arabe et plus tard la langue française. Les Berbères ou les Amazighs ont
donc développé une forme de complexe et de honte vis-à-vis de leur langue
et beaucoup lui ont préféré la langue arabe. L’arabe parlé se trouve
aujourd’hui dans la même situation face à l’arabe littéraire et au français.
Il est impossible de comprendre ce problème identitaire au Maghreb sans
évoquer l’histoire des Banou Hilal. Bien que plus proche d’un mythe que
d’une réalité, pour une grande partie de ces populations elle est la preuve
de leur origine arabe. Cependant, le problème est que les Banou Hilal sont
présentés par les historiens, et depuis Ibn Khaldûn, comme des malfaiteurs
qui ont été chassés de l’Arabie, ce qui n’a assurément pas aidé ceux qui les
revendiquaient comme ancêtres à valoriser l’image qu’ils avaient d’euxmêmes.
Cette situation psychologique complexe continue de peser lourdement sur le
Maghreb malgré une amélioration palpable ces dernières décennies où, chez
certains, le désir de se réconcilier avec leurs origines et leur histoire se fait
sentir. Elle est un des facteurs de violence qui mine les sociétés maghrébines
tout autant que l’une des causes qui entravent la construction sociale, politique
et économique de ces pays. D’une part, la violence gaspille l’énergie créatrice
et d’autre part, pour entreprendre un peuple tout comme un individu a besoin
d’avoir la confiance nécessaire pour le faire. Or, c’est justement la chose qui
manque à celui qui souffre d’une image négative de soi.
Les conditions sociales, économiques et politiques défavorables que
connaissent les pays du Maghreb n’aident pas leurs populations à sortir de ce
problème identitaire. Les mêmes conditions sociales et économiques difficiles
qui affectent les communautés maghrébines en Europe, et notamment en
France, n’aident pas davantage celles-ci à valoriser leur image vis-vis d’ellesmêmes, accroissant les facteurs de leur souffrance et de leur mal-être.
C’est pourquoi, il est aujourd’hui nécessaire que ces populations en finissent
avec ce problème identitaire etse réconcilient avec elles-mêmes. Ne peut avoir
une bonne relation avec les autres que celui qui a une bonne relation avec lui-même.


Pour en savoir plus
Ouvrages : Ibn Khaldûn, Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de
l’Afrique Septentrionale, Trad. William Mac-Guckin de Slane, BERTI édition,
2003
Gabriel Camps, Les Berbères : Mémoire et identité Edition Acte Sud , 2007
Razika Adnani, La nécessaire réconciliation, Édition Upblisher 2014
Les articles :
Razika Adnani, La dichotomie entre Arabes et Berbères est-elle réelle ?
RAzika Adnani, En Algérie, il n’y a que des Algériens

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