Razika Adnani – Algérie : des revendications non religieuses



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Depuis quelques jours, le monde entier a les yeux rivés sur l’Algérie. Non seulement parce que le peuple a osé s’opposer à Bouteflika, mais surtout pour l’originalité de son mouvement citoyen suscitant beaucoup d’admiration : son caractère pacifique et la solidarité des manifestants lui procurent toute sa force et toute sa détermination.

Cependant, ce qui a le plus dérouté les analystes politiques est assurément son caractère laïc. C’est la première fois, dans l’histoire du monde musulman, qu’une protestation populaire exprime des revendications purement et uniquement politiques totalement séparées de la religion.

Deux éléments peuvent expliquer ce phénomène exceptionnel : l’émergence d’une classe moyenne qui a beaucoup voyagé, notamment vers l’Occident, ce qui a contribué à libérer les Algériens d’une image négative de la modernité que le discours traditionaliste leur avait inculquée. Ainsi, ils ont pu avoir des idées précises de ce qu’ils voulaient faire de leur pays.

La souffrance des années noires et les expériences malheureuses des printemps arabes ayant débouché sur un islamisme sanglant font que les Algériens refusent que leur révolution ait un caractère religieux. Ils ne veulent pas que les islamistes la récupèrent à leur profit ou que la religion soit un obstacle à leur projet de bâtir un pays démocratique et moderne. Ils ne rejettent pas leur religion, mais refusent qu’elle soit mêlée à la politique. Ils sont conscients que la religion ne règle pas les problèmes de la politique, elle lui en rajoute.

Maturité politique

N’ayant cessé pendant plusieurs années de menacer le peuple algérien de voir les années de braise et l’islamisme revenir s’il se révoltait, le pouvoir a finalement permis au peuple, y compris aux jeunes qui n’ont pas connu cette période noire, de comprendre que la seule manière de s’en sortir était que le changement soit pacifique et sans aucune référence à la religion.

Le pouvoir a donc indirectement contribué à cette maturité politique avec laquelle le peuple s’exprime et l’interpelle. Le moyen qu’il a utilisé pour tenir le peuple s’est retourné contre lui. Le caractère pacifique et laïc de ce mouvement a empêché le pouvoir de recourir à « la violence légitime » de l’État.

L’Algérie vient-elle de mettre en place les premiers jalons d’une société moderne dans laquelle la politique est séparée de la religion ? Tout permet de l’affirmer, à condition que le mouvement citoyen ne se heurte pas à des obstacles. Le pouvoir est toujours un opposant redoutable et le mouvement demeure fragile tant que ses objectifs ne sont pas atteints. Beaucoup de problèmes peuvent surgir si le pouvoir ne cède pas et si l’État ne prend pas sa part dans ce changement comme acteur important. Le plus grand risque est de voir le démon islamiste se réveiller. Bien que la vigilance des citoyens ne leur ait pas permis de s’imposer pendant les manifestations, les islamistes demeurent très actifs et leur mouvement a des tentacules internationaux qui le nourrissent.

Les Algériens ne pourront pas construire l’Algérie nouvelle dont ils rêvent autrement dit une Algérie de justice, de liberté et d’égalité s’ils ne séparent pas la politique de la religion. Ils ne pourront pas bâtir une société épanouie où l’individu est bâtisseur de civilisation sans une autonomisation de la pensée ; la laïcisation de l’État comporte et permet la laïcisation de la pensée. C’est l’objectif réel de la laïcité : libérer la politique pour libérer la pensée. Razika Adnani

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