Les talibans privent les filles de leur droit d’aller à l’école – Le monde musulman n’est pas en colère



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Publié par le Soir d’Algérie


Le 23 mars 2022, les talibans ferment à nouveau les portes de l’école aux filles. Sous prétexte de respecter les règles de l’islam, ils abusent de leur pouvoir pour les empêcher de s’instruire et d’accéder au savoir. Pourtant, pas de grandioses marches, ni à Alger, ni à Tunis, ni à Rabat, ni au Caire, ni à Islamabad, ni à Niamey, ni à Amman pour dénoncer une atteinte à l’islam, comme l’ont fait les musulmans avec les caricatures de Charlie. 
Le monde musulman n’est pas en colère contre les injustices commises par les intégristes talibans à l’égard des filles au nom de l’islam. Ainsi, les musulmans se sentent offusqués par un dessin qui n’a aucune incidence sur leur réalité ni leur vie, mais pas pour des milliers de filles injustement privées de leur droit d’aller à l’école.
Pas d’hashtag, ni de mobilisation sur les réseaux sociaux pour soutenir les femmes et les filles afghanes qui se battent pour leur droit à l’égalité et pour leur dignité humaine comme ils ont l’habitude de le faire pour le peuple palestinien, comme si leurs bons sentiments et leur compassion ne s’exprimaient que lorsqu’il s’agissait des Palestiniens. Pas de réactions de la part des institutions religieuses. La Grande Mosquée d’al-Azhar, qui a assuré des formations aux talibans, s’est contentée d’un communiqué, remontant au mois d’octobre 2021, dans lequel elle affirmait que les Talibans devaient garantir leurs droits aux filles selon la loi de l’islam. Cependant, pour les talibans, c’est exactement ce qu’ils font. Ils interdisent aux filles d’aller à l’école, car, selon eux, la mixité est interdite en islam. La charte de La Mecque affirme dans l’article 25 que les femmes auront tous leurs droits selon les limites tracées par Dieu et selon ce qu’elles méritent et qui correspond à leur nature, ce qui exclut totalement l’idée de l’égalité en droit entre les hommes et les femmes. Elle a été signée en 2019 par 1 200 dignitaires religieux (tous des hommes) de différents pays.

Le verset 53 de la sourate 33, «Les Coalisés»


Pour interdire la mixité, les religieux utilisent le verset 53 de la sourate 33, «Les Coalisés», recommandant aux compagnons du Prophète de parler à ses épouses derrière un rideau : «Ô vous qui croyez, n’entrez pas dans les demeures du Prophète à moins qu’une invitation ne vous soit faite à un repas sans être des fureteurs, mais entrez lorsque vous êtes invités, retirez-vous quand vous aurez mangé sans chercher à amorcer de longues discussions car cela fait de la peine au Prophète qui éprouve une gêne à vous le dire, mais Dieu ne se gêne pas de la vérité si vous venez leur demander un ustensile, faites-le derrière un rideau cela est plus pur d’intention pour ce qui est de vos cœurs et des leurs il est inutile de nuire au Prophète de même que jamais vous ne épouserez ses femmes après lui car cela aurait des conséquences extrêmement fâcheuses auprès de Dieu.» 
La séparation dont parle ce verset ne concerne que les femmes du Prophète et ses compagnons. Pour les commentateurs, elle a été instaurée entre les compagnons du Prophète et ses épouses, car il était jaloux de les voir trop discuter avec elles, notamment avec sa préférée, Aïcha, qui n’avait que 18 ans à sa mort. Ce verset et ces commentaires montrent que les hommes et les femmes n’étaient pas séparés dans la société arabe de l’époque. 
Selon le verset 32 de la même sourate 33, «Les Coalisés», qui affirme que les femmes du Prophète ne sont pas comme les autres : «Ô femmes du Prophète, vous n’êtes comparables à aucune autre femme.» Cette séparation ne peut être généralisée à toutes les femmes et tous les hommes. C’est justement ce verset que les juristes ont utilisé pour ne pas généraliser à toutes les femmes l’interdiction faite aux femmes du Prophète de se remarier après lui (verset 53 de la sourate 33). Cependant, ils ne l’ont pas pris en compte en généralisant la séparation entre les hommes et les femmes au prétexte que les femmes du Prophète sont un exemple à suivre pour toutes les femmes. Ce double comportement à l’égard d’un même verset montre que les juristes ont agi à leur guise et selon leur intérêt. 
En instaurant la non-mixité, ils ont enfermé les femmes et de ce fait les ont exclues de la vie sociale, culturelle et politique, ce qui a donné aux hommes un pouvoir sur elles.

L’autre décision misogyne des talibans 


Empêcher les filles d’aller à l’école, de s’instruire n’est pas la seule décision des talibans qui viole les droits humains. L’interdiction aux femmes de voyager au-delà de 70 km sans qu’elles soient accompagnées d’un homme de la famille en est une autre. Une atteinte à la dignité des femmes, une violation de leurs droits de citoyennes et un non-respect du principe de l’égalité entre les femmes et les hommes qui passent sans non plus provoquer la colère des musulmans pensant que les Talibans sont certes extrémistes, mais ne font tout de même que respecter les règles de la Charia. 
Preuve en est que cette règle est en vigueur dans beaucoup de pays musulmans tels que le Yémen et l’Égypte. L’Arabie saoudite ne l’a annulée qu’en 2019. Pour cela, ils s’appuient tous, tout comme les Talibans, sur le verset 34 de la sourate 4, «Les Femmes» : «[…] les femmes vertueuses sont qanitatoun (traduit par obéissantes) et protègent ce qui doit être protégé pendant l’absence de leurs époux. Celles dont vous craignez la sédition, ne vous mettez pas au lit avec elles, vous les reléguerez et vous les battrez à moins qu’elles ne vous obéissent à nouveau […]». Ce verset recommande aux femmes d’être obéissantes à leur mari, donne aux hommes le droit de les frapper et reconnaît une supériorité aux hommes sur les femmes, ce qui n’est pas honorable pour les femmes ni compatible avec le principe d’égalité. C’est une preuve que les problèmes que pose l’islam ne sont pas uniquement une question d’interprétation, comme le prétendent beaucoup aujourd’hui. 
Toutefois, ce verset ne dit pas que les femmes ne doivent voyager qu’accompagnées d’un mâle de la famille. S’il dit, comme l’affirment les commentateurs, que la femme vertueuse est celle qui est fidèle à son mari, on peut être fidèle à son mari ou à sa femme au milieu d’une foule comme on peut ne pas l’être même tout seul à la maison ou toute seule, ce qui a totalement échappé aux juristes et échappe encore aujourd’hui à beaucoup de musulmans. Ils ont fait de ce verset un argument suffisant pour enfermer les femmes et les contraindre à ne sortir qu’accompagnées d’un mahrem (un homme de la famille) pour les empêcher de tromper leur mari et les obliger à leur être fidèles.

Un acte n’est moral que s’il résulte d’un choix


Le problème, c’est que le Coran parle de femmes vertueuses. Or, une personne qu’on enferme pour ne pas tromper son mari ou sa femme, qui a toujours un gardien qui contrôle ses actes, ne peut être qualifiée de vertueuse tout comme on ne peut pas qualifier de jeûneur celui qui ne mange pas parce qu’il ne trouve rien à manger, ni attribuer une quelconque moralité à celui qui ne vole pas parce qu’il n’y a rien à voler. Un acte n’est moral que s’il résulte d’un choix de notre volonté.
Quant à ceux qui prétendent que la femme doit avoir un gardien pour voyager afin que les hommes ne s’en prennent pas à elle, ils donnent une image très négative de l’homme le présentant comme un être incapable d’un comportement social, responsable et digne. 
Ainsi, lorsque les talibans prétendent qu’ils ne font qu’appliquer la Charia sacrée de Dieu, car les recommandations de Dieu doivent être appliquées, ils ne disent pas la vérité. D’une part, les musulmans ne pratiquent pas toutes les recommandations coraniques et ne pourraient pas toutes les appliquer, même s’ils le voulaient, étant donné que beaucoup s’opposent entre elles. Dans toutes l’histoire de l’islam, les musulmans ont retenu certaines règles, celles qui correspondaient à leur vision de la société, à leurs valeurs, à leur culture et aux circonstances sociales et politiques, et en ont négligé d’autres. D’autre part, la majorité des règles de la Charia, qu’ils prétendent être des règles divines indiscutables, ont été en réalité mises en place par les religieux et les juristes.

Des raisons multiples 


Les raisons qui doivent provoquer la colère des musulmans contre les talibans sont donc multiples. Présenter comme des décisions divines et sacrées ce qui a été mis en place par des juristes revient à mentir au sujet de Dieu et à attribuer aux hommes des qualificatifs du divin, ce qui est contradictoire au principe de l’unicité sur lequel se fonde l’islam. 
Priver les filles de leur droit à l’instruction et les femmes de leur droit de sortir et de circuler librement est une injustice et des atteintes à leur dignité humaine. Aucun texte ne peut être un prétexte pour justicier de tels actes. Pour les musulmans qui sont soucieux d’être en accord avec leur religion, le Coran ne dit-il pas dans le verset 70, sourate 17, le «Voyage Nocturne», qu’il a «honoré les enfants d’Adam» ? 
C’est uniquement en respectant ses droits et sa dignité, qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme, qu’on peut honorer l’être humain. Mais ce verset fait partie de ceux que les musulmans ont négligés ou interprétés avec des éléments culturels, psychologiques et épistémologiques qui ne sont plus les nôtres. 

Razika Adnani

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3 Commentaire(s)

  1. Hassina dit :

    Donc c’est là le sujet et le problème : les textes étant écrits choisis par des juristes et religieux, travail humain sujet à l’erreur .Aussi ce travail ce tri des écrits subissent un tas de critères : mentalité sagesse savoir des religieux et juristes, blocages sociaux politiques, économiques et dans le savoir, ignorance et retards des mentalités dûs aux époques, retard scientifique donc non ouverture d’esprit ou blocages. ..
    A mon humble avis,faut revoir le tri les écrits en fonction de l’évolution scientifique, de l’homme, de son ouverture d’esprit, des époques, des stratégies des vies de l’homme ,des philosophies, des sociologies et alors soit enlever un écrit ou en ajouter façon de parfaire le travail et d’être en cohérence avec l’ouverture mentale de l’époque. Car la question qui se répète le tri des anciennes époques est – il meilleur.

  2. Monique PAUTET SORDEL dit :

    Existe t’il une association qui defent le droit à l’éducation pour les filles musulmanes en Iran et/ ou en Afghanistan ?

  3. Yvan Lebreton dit :

    Cette absence de colère de la part des musulmans est en effet troublante, je pense particulièrement aux musulmans qui vivent en Europe, en France, et qui connaissent les tensions culturelles entre France laïque et islamisme. Soit ils approuvent les violences faites aux femmes, et ils participent à une forme discrète de soutien à l’islamisme. Soit ils n’approuvent pas ces violences, et alors on doit s’interroger : auraient-ils peur des pressions et menaces des islamistes ? auraient-il un fort scrupule à se désolidariser des pratiques de la communauté (problème de loyauté) ? La réponse à ces deux questions serait bien intéressante, car elle éclairerait les difficultés de l’intégration (on n’ose plus évoquer l’assimilation) des musulmans à la France républicaine et laïque.

    Autre questionnement : quelle est la frontière entre islam et islamisme, y a-t-il un curseur fiable et une position claire entre les deux ? Pourrait-on parler d’un continuum flou ou subtil entre la pratique religieuse faible, la pratique seulement moyenne et consensuelle, la pratique engagée jusqu’au séparatisme (salafisme et wahhabisme), et le djihad guerrier ?

    Merci à Razika Adnani pour son travail intellectuel – que je commence à découvrir – au service de la réforme indispensable de l’islam !

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