« Erdogan, la revanche des conservateurs islamistes »



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FIGAROVOX/TRIBUNE– Pour Razika Adnani, le « oui » au référendum turc provoqué par Erdogan marque le retour en Turquie de l’islamisation de la société, à contre-courant de la laïcité voulue par Mustafa Kemal Atatürk.

Le 16 avril, environ la moitié du peuple turc a dit oui au président Erdoğan et à son projet de révision constitutionnelle, dont l’objet est de lui octroyer davantage de pouvoir, alors qu’Erdoğan ne cache pas son intention de renforcer le rôle de la religion dans la gestion politique et sociale du pays. Sa dernière déclaration consiste à rétablir la peine de mort, rappelant clairement la position des conservateurs qui considèrent que cette sentence est recommandée par la religion. Pour beaucoup d’observateurs et d’analystes, cette réforme constitutionnelle constitue une dérive autoritaire du pouvoir et une menace pour la laïcité, fondement de la Turquie moderne.

Comment expliquer que la moitié du peuple turc se détourne de la révolution kémaliste et de son principe de laïcité qui remonte à la fin de la première guerre mondiale, dont l’empire ottoman est sorti vaincu et démantelé? Mustafa Kemal Atatürk, qui voulait construire une nouvelle Turquie, ne voyait d’issue pour son pays que dans un système de réformes profondes. Il a pris deux décisions audacieuses: l’abolition du califat et la séparation entre le domaine politique et le domaine religieux. En 1938, ses efforts ont été couronnés par une constitution déclarant la Turquie «une république laïque». À partir de cette date, ce pays, à cheval entre l’Europe et l’Asie, a fait exception dans le monde musulman auquel il appartient.

La contestation des réformes kémalistes

Les réformes kémalistes ont été perçues par les musulmans, de tendance conservatrice dans leur grande majorité, comme une foudre qui s’est abattue sur eux. Ils ont vu en elles un outrage à l’islam et une offense aux musulmans. La réaction fut virulente, non seulement en Turquie mais également dans tous les pays musulmans. En Égypte, Rachid Rida, dont les écrits constitueront l’assise théorique de la confrérie égyptienne des Frères Musulmans, affirme que les réformes kémalistes sont, d’une part, non conformes à la loi islamique et, d’autre part, imposées par l’occident, leur ôtant ainsi toute légitimité. Les conservateurs ont alors lancé une riposte pour corriger ce qui a été considéré comme une dérive de la vraie voie de l’islam. Pour eux, la révolution kémaliste a été une erreur qui a provoqué une blessure profonde dans le cœur des musulmans et qui ne pourra guérir qu’avec sa rectification, c’est-à-dire la dissolution de ses réformes et le retour de la Turquie à une gestion politique régie par les lois de l’islam. Ainsi, pour contrer la laïcisation et la démocratisation, non seulement en Turquie mais également dans tous les pays musulmans, les conservateurs ont mis en place deux principes très significatifs: islam religion et État et islam foi et charia, qui marqueront l’histoire de la pensée musulmane tout au long du XXème siècle puis au début de notre siècle et nourriront l’islam politique.

Ces deux principes rappellent aux musulmans que l’islam n’est pas dissociable de sa dimension juridique et ne peut se concrétiser que dans un État organisé selon les règles de la charia. C’est la preuve, pour eux, que la laïcité voulue par Atatürk est étrangère à l’islam et qu’y mettre fin doit être le devoir de tout musulman afin que l’islam retrouve son honneur et les musulmans leur dignité.

La volonté de «réislamisation»

Le projet de réislamisation des musulmans, afin qu’ils reviennent à l’islam pur d’antan, celui des anciens pieux, a commencé en Arabie Saoudite au XVIIIème siècle. Cependant, l’abolition du califat et la laïcisation de la sphère politique en Turquie au XXème siècle ont renforcé les rangs des adeptes de ce projet ; et beaucoup d’autres mouvements se sont organisés autour de cette idée.

Assurément, la Turquie n’a pas été la seule, parmi les pays à majorité musulmane, à entamer des réformes politiques visant la séparation entre la politique et la religion. Durant la première moitié du XXème siècle, plusieurs pays tels que l’Irak, l’Égypte et la Tunisie ont poursuivi cette perspective. Cependant, seule la Turquie a pu réaliser constitutionnellement et concrètement ces rénovations. Les autres réformes dans le monde musulman ont précocement avorté ou ne sont pas allées au-delà du cadre de la déclaration théorique, comme en Indonésie.

Cette situation unique de la Turquie a concentré sur elle les efforts des conservateurs dans leur politique de réislamisation du monde musulman ; leur objectif était que la Turquie revienne au sein de l’islam, de sa culture et ses traditions. C’était le défi lancé par les religieux: corriger l’erreur historique commise par Atatürk. Si Erdoğan veut donner davantage de place à la religion dans la sphère juridique et politique, c’est parce qu’il poursuit ce même objectif. La preuve en est que Youcef El Qaradaoui, Président de l’Union Internationale des Savants Musulmans et membre de la confrérie des Frères Musulmans, le félicite dans ses démarches et déclare que celui-ci est soutenu dans sa tâche par Dieu et les anges ; et il appelle tous les musulmans à le soutenir à leur tour.

La victoire du oui au référendum qui vise à réviser la constitution en donnant davantage de pouvoir au président conservateur Erdoğan est la preuve que ce projet de réislamisation et de rectification a commencé à donner des résultats. Même si Erdogan s’appuie sur l’affect de son peuple en se présentant comme celui qui sait tenir tête à une Europe arrogante qui a refusé d’admettre son pays dans l’Union Européenne, son projet politique s’inscrit dans cet objectif de rectification.

Erdoğan est-il en train de réaliser le rêve de revanche des conservateurs? Tout indique qu’il n’en est pas loin.

Razika Adnani

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