Entretien avec Razika Adnani accordé au magazine Dzeriet



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Dans votre livre, vous abordez l’islam. Quelles sont les raisons de ce choix?

Je voudrais, tout d’abord, apporter une précision ; mon livre n’aborde pas l’islam mais la problématique de la raison dans la pensée musulmane. Je n’aborde l’islam que par rapport aux conséquences que peut avoir cette problématique sur notre manière de penser l’islam. Je précise bien sûr que cette raison est la raison au sens épistémologique et scientifique du terme, soit un ensemble de règles logiques qui font que les propositions se suivent dans un enchaînement cohérent. La raison, comme l’utilisent les gens du commun, qui veut dire la sagesse, et qu’on trouve aussi chez certains philosophes, ne pose aucun problème, ni avec la religion ni avec toute autre pensée qui soit. Liée à la morale et au bon sens, la sagesse relève du monde du subjectif. Est donc sage et raisonnable toute personne dont le comportement s’accorde avec nos critères de la morale et de bon sens. En revanche, la raison, elle, est objective et formelle. En ce qui concerne le choix de ce sujet, il vient de l’absence de cohérence et de nombreuses contradictions caractérisant d’une manière générale la pensée musulmane. On a toujours considéré qu’éloigner la raison de la religion préservait l’intérêt de la religion car la religion n’est pas une question de raison mais de cœur. C’est cette vérité que j’ai remise en question.

Vous dites dans votre livre que l’absence de la raison dans la pensée musulmane nuit à l’islam. Comment l’expliquer ?


Il est certain que cette vision négative de la raison et de son caractère rationnel nuit à toute réflexion en quête de vérité. Le refus de la pensée de se soumettre aux impératifs du principe rationnel de non-contradiction fait qu’elle peut juger une idée vraie et fausse en même temps et dans les mêmes conditions. La position négative vis à vis de la raison a longtemps caractérisé la pensée musulmane. De ce fait, la pensée ne se réfère plus aux lois du raisonnement logique et de la cohérence, mais au ressenti, à l’émotion et au sentiment. Il est certainement nécessaire d’aimer sa religion, mais ce n’est pas suffisant pour avoir un comportement juste envers la religion. On peut aimer son enfant, mais cet amour ne suffit pas pour tout légitimer dans notre comportement de parents. On peut nuire par amour aussi. On peut discuter de cette notion d’amour mais ce n’est pas notre sujet aujourd’hui. Si on croit en l’islam, la finalité de la recherche doit être un comportement musulman vrai c’est à dire un comportement cohérent avec les principes de la religion et la morale de l’islam. Je m’explique : si l’islam est avant tout la foi en l’existence de Dieu et en son unicité, alors cette foi exige de rester cohérent tout au long de la réflexion ; cohérence qui nous interdit de dire en interprétant les textes sacrés, voilà exactement ce que Dieu veut dire, mais tout simplement voilà ce que je pense que Dieu veut dire. En islam, appliquer la justice sociale, comme le précisent les théologiens du Droit, est la finalité de tout jugement juridique. Or, nous savons qu’être juste dans certaines conditions sociales et économiques peut ne pas l’être dans d’autres : ce que les docteurs reconnaissent pour expliquer le phénomène de l’abrogeant et de l’abrogé dans les textes sacrés. Quand, après tout cela, on refuse de regarder la situation sociale, économique et même morale des gens, il y a une incohérence que la raison ne peut admettre. Sous prétexte que les jugements juridiques sont immuables, on se contredit avec le principe de la justice qui est, en islam, un principe moral et un des attributs de Dieu. La première preuve d’amour que les musulmans peuvent donc témoigner à leur religion est la non-contradiction avec ses principes et leur respect absolu. Ainsi la raison est le moyen qui permet d’aimer justement sa religion.

Peut-on dire que vous vous inscrivez dans la lignée des penseurs qui ont œuvré pour un accord entre la raison et la religion ?


La majorité des croyants et des philosophes des trois grandes religions monothéistes pensent que l’accord entre la raison et la foi passe nécessairement par la capacité de la raison à prouver l’existence de Dieu et de la prophétie. Ce que je récuse totalement car demander à la raison de prouver ce qui la dépasse est une erreur qui a beaucoup porté préjudices à la raison et à la religion elle même. D’ailleurs, je fais porter à ceux là la responsabilité du désintérêt pour la raison dans la pensée musulmane. L’échec de la raison à démontrer l’existence de Dieu a conduit à son exclusion du domaine de la pensée religieuse au prétexte que ce n’est donc pas son domaine. Et pourtant si nous y regardons bien, même en science on ne demande pas à la raison de prouver ce qu’elle ne peut pas prouver. Faut-il pour autant séparer la science de la raison? Bien sûr que non. Les mathématiques qui n’ont jamais pu démontrer leurs principes restent la science de la rationalité par excellence. La raison accepte parfois des idées sans pouvoir les démontrer dans un sens ou dans un autre si elle les considère nécessaires à la construction de la science : c’est ce que nous appelons les postulats. Le rôle de la raison et de son caractère rationnel est de ne pas juger de ces postulats mais de veiller à ce que tout ce que la pensée bâtira sur ces postulats, qu’elle a acceptés, ne se contredise jamais avec eux tout au long du raisonnement. Le rôle de la raison en religion est exactement le même car la religion est fondée sur des principes dogmatiques fondateurs qui forment la foi. En religion n’est vrai que ce qui s’accorde avant tout avec ces principes dogmatiques « akida ».
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