Conseil des imams – Entretien de Razika Adnani sur Canal Plus



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Entretien de Razika Adnani accordé à 20 Minutes : “Conseil des imams” : Sans une réforme de l’islam, la création de cette institution posera un problème de crédibilité »

Bientôt des imams « labellisés ” islam de France ? C’est possible : Emmanuel Macron a obtenu du Conseil français du culte musulmans de mettre en place un « Conseil des imams ». L’idée, dans l’air depuis des semaines, est de réduire l’influence étrangère des imams qui pratiquent en France, parfois affiliés à des pays musulmans étrangers. Une influence jugée néfaste par le gouvernement. Pourquoi ce Conseil des imams et qu’est-ce que cela pourrait changer ? 20 Minutes fait le point avec Razika Adnani, philosophe, autrice, membre du conseil d’orientation de la Fondation de l’islam de France. 20 Minutes

20 Minutes : Ce nouveau conseil des imams, est-ce une bonne idée ?

Razika- Adnani : L’idée, sur le plan théorique, n’est pas mauvaise. Mais sur le plan pratique je me pose des questions. D’abord il faudrait savoir qu’elle est la place du CFCM dans la communauté musulmane : est-il écouté ? Suivi ou pas ? Dispose-t-il de moyens nécessaires ? Difficile de répondre de manière fiable. Par ailleurs, vouloir faire signer une charte républicaine aux imams c’est très intéressant, mais le problème ce ne sont pas les valeurs républicaines, ce sont les valeurs prônées par l’islam, tel que les musulmans le comprennent et le pratiquent, qui n’est pas réformé. Les musulmans n’ont pas pu le réformer pour qu’il soit adapté aux valeurs de notre époque, celles de la modernité. Ils ont essayé à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, mais cela a été soldé par un échec. Aujourd’hui, c’est l’islam traditionnel qui s’impose et que la grande majorité des musulmans prônent. Comment un imam peut-il signer une charte républicaine, appeler les musulmans qui viennent faire leur prière à la mosquée au respect des valeurs républicaines comme l’égalité femmes-hommes et tenir en même temps un discours religieux qui considère que les femmes sont inférieures aux hommes, par exemple ?

«Le problème réside dans l’incapacité des responsables de l’islam, même s’ils défendent les valeurs républicaines et appellent au respect de la laïcité, à tenir un vrai discours de réforme de l’islam.» Razika Adnani -Entretien accordé à 20 Minutes

20 Minutes : Cette tentative de création d’une sorte de clergé, qui n’existe pas dans l’islam sunnite, est-il un premier pas vers le rapprochement de ces discours qui vous apparaissent antagonistes ?

R.A. : Je pense que le problème qui se pose réside dans l’incapacité des responsables de l’islam, même s’ils défendent les valeurs républicaines et appellent au respect de la laïcité, à tenir un vrai discours de réforme sur certains points importants. Beaucoup de questions se posent aujourd’hui au sein de l’islam mais que beaucoup évitent. On entend souvent que le problème n’est pas l’islam mais l’islamisme ou que c’est juste une mauvaise compréhension de l’islam. 

On ne peut régler un problème que si l’on reconnaît son existence. Il faut reconnaître la responsabilité de l’islam, tel que les musulmans le conçoivent et le pratiquent, dans les problèmes qui se posent pour pouvoir faire cette réforme de l’islam qui est nécessaire aujourd’hui. Créer un Conseil des imams est une bonne chose, mais sans cette réforme de l’islam, cela risque de créer un discours des imams qui ne sera pas accepté par les jeunes musulmans au sein des mosquées.

20 Minutes : Emmanuel Macron a beaucoup reçu les représentants du CFCM depuis la rentrée. Est-ce positif, le signe qu’un dialogue est engagé, ou plutôt négatif, comme une mise sous tutelle contraire à la laïcité ?

R. A. : C’est assurément une bonne chose pour l’islam en France et pour les musulmans. C’est une bonne chose que les extrémistes aussi voient qu’on ne peut pas faire ce qu’on veut, comme tenir un discours qui met en danger la République et la sécurité de la société. Cependant, ce sont les conséquences sur le terrain qui interrogent. Quant à Emmanuel Macron, son initiative concerne la « gestion » de l’islam de France et non le culte musulman. D’autre part, l’objectif est de faire face à « l’islam politique » comme il le dit, autrement dit des personnes qui font de la politique. Au nom de l’islam certes, mais cela reste une activité politique. Il n’y a donc pas de contradictions avec la loi sur la laïcité, que l’État réagisse pour protéger la République, tant qu’on est dans le domaine politique.

20 Minutes : Vous me disiez un peu plus tôt qu’il y avait un risque pour la crédibilité de ces imams « labellisés », la réforme dont vous parlez doit donc venir de la base et non d’en haut ?

R.A. : La prise de conscience doit venir des musulmans eux-mêmes. Concernant l’imam, la question est de savoir quel discours il tient. Est-il capable de poser la question des versets qui posent problème dans nos sociétés actuelles, et quelle sera sa réponse ou sa position ? Jusqu’à présent, beaucoup affirment qu’il faut respecter la laïcité et les valeurs de la République, mais ils n’abordent pas concrètement, ou très timidement, ces questions.

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