Certains musulmans affirment que le jeûne n’est pas obligatoire



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Le mois de ramadan prend fin cette semaine. Cette année encore, débats et controverses ont animé le monde musulman après que certains ont affirmé que le jeûne n’était pas une obligation, mais un choix personnel. 

Les musulmans ont toujours considéré le ramadan comme un des cinq piliers de l’islam qu’ils sont obligés d’observer. Le jeûne de ramadan est cité dans la sourate la Vache, dont le verset 184 qui énonce :  « Un nombre compté de jours sauf si quelqu’un parmi vous est malade ou en voyage il pourra rattraper le même nombre de jours ultérieurement et  ceux qui sont capables de jeûner (mais qui ne jeûnent pas)doivent se racheter en nourrissant un pauvre celui qui est volontaire pour le bien il lui sera compté mais jeûner est encore mieux si vous saviez » (1)  . Ceux qui affirment que le jeûne n’est pas obligatoire en déduisent que celui-ci est une question de choix étant donné que le verset précise que ceux qui sont capables de jeûner – mais sous-entendu ne jeûnent pas – doivent se racheter en nourrissant un ou plusieurs pauvres.

Une interprétation affirmée par des commentateurs tel qu’Ibn el-Kathir (1301-1373) :  « Quant à celui qui est en bonne santé et qui est capable de jeûner, il avait le choix de jeûner ou de manger. S’il voulait il jeûnait et s’il voulait il mangeait et rattrapait en nourrissant un pauvre chaque jour s’il pouvait nourrir plus de pauvres c’était encore meilleur … » 

Cependant, le jeûne est également cité dans le verset 185 de la même sourate qui prend un ton plus impératif et constitue ainsi la preuve que le jeûne est une obligation : « (…) celui qui parmi vous est présent en ce mois qu’il le jeûne le malade et le voyageur rattraperont leurs jours ultérieurement (…) ».

Les docteurs de la religion face aux textes

Devant une telle situation, on peut affirmer que les docteurs de l’islam se sont trouvés dans des conditions de travail compliquées.Pour sortir de cette difficulté, presque tous ont considéré que le verset 185 abrogeait le verset 184. Le principe de l’abrogé – mansoukh – et abrogeant – nassikh – est utilisé pour sortir de certaines situations juridiques et théologiques complexes où, au sujet d’une même question, deux positions différentes, voire contradictoires, sont présentées. C’est la position retenue par les musulmans au point où, dans certains pays musulmans, ne pas jeûner est passible de poursuites judiciaires.

Ce choix a certainement d’autres raisons que la disposition des deux versets, d’autant que la transcription du Coran n’a pas été soumise à un ordre chronologique quelconque. Cependant, il est difficile de négliger l’ambiguïté du verset 184 dans l’explication de ce choix. En effet, à sa lecture, on se demande pourquoi celui qui est capable de jeûner doit se racheter s’il ne jeûne pas. L’obligation de se racheter n’implique-t-elle pas que le jeûne est une obligation ? Pourquoi le malade et le voyageur doivent-ils rattraper ultérieurementles jours manqués si le jeûne n’est pas obligatoire ? Ces incohérences nous permettent de supposer qu’une erreur s’est introduite dans le verset 184 lors de la transcription du Coran. Ainsi, au lieu d’écrire :  « (…) ceux qui ne sont pas capables de jeûner doivent se racheter en nourrissant un pauvre (…) », le transcripteur a écrit «(…) ceux qui sont capables de jeûnerdoivent se racheter en nourrissant un pauvre (…)». À préciser qu’en arabe la négation s’exprime en un seul mot constitué d’une seule syllabe (لا).

Quelle que soit la situation, les musulmans d’aujourd’hui ont le droit d’interroger les textes religieux et de démontrer qu’affirmer l’obligation du jeûne n’est pas aussi évident. Cela participera à dissiper assurément beaucoup de dogmatisme. Cependant, se contenter de déclarer avec fermeté que le jeûne n’est pas obligatoire sans même évoquer le verset 185 – ni chercher à expliquer pourquoi il est important de le considérer comme tel – non seulement ne convainc pas les fidèles, mais provoque également des résistances.

Il n’y a certainement aucune raison de fermer les portes de la recherche, car le travail de ces premiers musulmans ne peut être une vérité absolue. Cependant, il n’y a aucune raison non plus de douter – en tout cas pour une grande partie d’entre eux – qu’ils ont fait le travail qu’ils pensaient être le meilleur pour les musulmans et avec les éléments de compréhension dont ils disposaient.

Une question de modernité ?

Cependant, ceux qui affirment avec certitude que le jeûne n’est pas obligatoire ne sont pas dans cet état d’esprit. Ils appartiennent à l’école  coraniste qui ne reconnaît que le Coran comme source de savoir et de législation dans le domaine religieux. Ils prônent l’idée que tous les problèmes que rencontrent les musulmans au sujet de leur religion n’ont rien à voir avec l’islam, mais découlent uniquement d’une interprétation erronée des textes coraniques. Parmi les « coranistes », certains se distinguent en affirmant que le Coran, donc l’islam, porte en lui non seulement toutes les solutions aux questions qui se posent, mais aussi celles permettant aux musulmans d’entrer dans l’ère de la modernité.

Leur objectif est de démontrer que les musulmans n’ont pas besoin de chercher des solutions à leurs problèmes en dehors de l’islam, ni de séparer la politique de la religion comme l’a fait l’Occident pour évoluer. L’évolution et la modernisation des musulmans se feront au sein de l’islam et par l’islam.

Pour eux, le Coran, avant que les commentateurs ne corrompent son discours, portait en lui toutes les valeurs modernes. Ainsi, concernant le jeûne, ils affirment que le fait qu’il ne soit pas une obligation, comme le prouvent les textes, permettraient aux musulmans de l’annuler. Nourrir plutôt un nécessiteux serait une bonne manière pour lutter contre la pauvreté dans les pays musulmans et dans le monde, selon l’islamologue Mohamed Shahrour.

Une séduisante acrobatie intellectuelle 

Pour prouver le bien-fondé de leur position, ces coranistes, et à leur tête Mohamed Shahrour, s’adonnent à un jeu de rhétorique et d’acrobatie intellectuelle qui séduit un grand nombre de musulmans rejetant le traditionalisme ou épris de modernité. Néanmoins, cela ne règle en rien les problèmes qui se posent à eux en ce début de XXIe siècle. Leur discours est non seulement fragile devant les traditionalistes qui ont leurs propres arguments, mais peine également à tenir sur le plan de la cohérence. Il suscite ainsi des polémiques interminables, stériles et sans aucun intérêt pratique pour les musulmans. Entre ceux qui ne reconnaissent pour le Coran que les valeurs du VIIe siècle et veulent les placer en dehors du temps, et ceux qui l’arrachent à son contexte et le projettent dans l’époque contemporaine, si les musulmans doivent attendre que les différences soient résolues pour savoir quelle position adopter vis-à-vis des problèmes qui se posent à eux et à l’humanité aujourd’hui, ils risquent de patienter trop longtemps.


Les musulmans ont le droit d’envisager une autre organisation sociale, morale et économique pour leur pays. Cependant, la manière la plus efficace et la plus rapide pour y parvenir est de séparer la politique de la religion. Cela n’exclut pas de faire un travail sur l’islam à condition qu’il soit celui d’une pensée libre et capable de faire une lecture objective des textes et de l’histoire de la pensée musulmane pour une « véritable réforme » de l’islam. Cette dernière est nécessaire pour compléter et consolider la neutralité de l’État.

(1) Les mots ou les passages non en italiques sont ceux qui prêtent à confusion et dont la traduction n’est ni évidente, ni facile. L’attention du lecteur est attirée sur le fait qu’en arabe la version originale du Coran est rédigée sans ponctuation… De ce fait, présenter une version avec une ponctuation revient déjà à proposer une interprétation du texte.

Razika Adnani

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