Razika Adnani : « Voilà pourquoi la distinction faite entre islam et islamisme s’inscrit en réalité parfaitement dans l’objectif du discours des islamistes » 



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Entretien de Razika Adnani accordé à Atlantico au sujet de son ouvrage Sortir de l’islamisme


1/ Dans votre ouvrage Sortir de l’Islamisme, vous contestez l’idée que “l’islamisme n’est pas l’islam”. Pourquoi cette distinction vous semble-t-elle infondée ?

En effet, dans la première partie de mon ouvrage, j’ai analysé le concept d’islamisme tel qu’il est forgé en France au début des années 1980, c’est-à-dire comme un islam politique qui n’aurait rien à voir avec l’islam, car il désignerait les mouvements politico-religieux qui seraient un phénomène contemporain. Je démontre que si on admet que l’islamisme est l’islam politique, affirmer que l’islam politique est un mouvement contemporain qui n’a aucun lien avec l’islam n’a aucun n’a aucun fondement historique ni théologique. Je dis « si on admet que l’islamisme est l’islam politique », car, avant le XXe siècle, le terme islamisme désignait la religion musulmane tout comme le christianisme et le judaïsme désignent respectivement la religion chrétienne et juive. Autrement dit, lorsque ce terme islamisme a été créé au XVIIIe siècle, il était l’équivalent du terme islam dans la langue arabe

Je rappelle que l’imbrication entre le religieux et le politique en islam a eu lieu lors de la période de Médine, c’est-à-dire en 622. Certes, après la mort du prophète, les musulmans ont posé la question de ces deux dimensions de l’islam, comme je l’explique dans l’ouvrage que j’ai écrit en 2017, Islam, quel problème ? Les défis de la réforme (dans lequel je n’ai d’ailleurs pas utilisé le terme islamisme). Ils ont fini par opter pour un islam qui est une religion et en même temps une organisation sociale, c’est-à-dire une politique. Quant aux mouvements politico-religieux, qu’on considère en France comme un phénomène contemporain qui a fait son apparition dans l’histoire au XXe siècle, ils ont en réalité marqué l’histoire de l’islam depuis la mort du prophète. Ainsi, la définition du terme d’islamisme telle qu’elle a été donnée en France, et ensuite répandue dans tout l’Occident, est une falsification de l’histoire de l‘islam et des musulmans.

  • /Qu’est-ce que cela implique en matière de lutte contre l’islamisme dans nos sociétés occidentales ?

Concernant la lutte contre l’islamisme ou l’islam politique et le conservatisme islamique, ce concept d’islamisme tel qu’il a été forgé en France au début des années 1980 constitue une entrave. Je dis cela, car la lutte contre l’islamisme, comme je l’explique dans cet ouvrage, mais aussi dans d’autres, doit être avant tout un travail intellectuel mené au sein de l’islam. Pour cela, il faut que les musulmans reconnaissent les problèmes que pose l’islam qui leur est proposé dans les sociétés actuelles. Cette reconnaissance est indispensable pour toute réforme de l’islam. Alors que le concept d’islamisme, tel qu’il a été forgé en France au XXe siècle, place les problèmes en dehors de l’islam, dans l’islamisme qui n’aurait aucun lien avec l’islam, et ne permet pas cette reconnaissance. De ce fait, il ne permet pas le regard critique nécessaire à cette réforme que les musulmans doivent porter sur leur religion. C’est pour cette raison que je dis que le concept d’islamisme, comme islam politique distinct de l’islam, forgé en France s’inscrit en réalité parfaitement dans l’objectif du discours des islamistes, qui sont des conservateurs. Depuis les années 1920, ils répètent aux musulmans que tous leurs problèmes ne sont pas dus à l’islam, mais seulement aux musulmans qui se sont éloignés de son message. Leur objectif est de garder l’islam à l’abri de tout esprit critique. Je critique le concept d’islamisme forgé par des universitaires français, car il consolide le conservatisme et renforce de ce fait l’islamisme, pas seulement en France, mais aussi en Occident et dans tout le monde musulman. 

3/ Vous affirmez dans votre ouvrage que la lutte contre l’islamisme doit passer par une réforme de l’islam. Comment réformer l’islam en Occident ?

Pour moi, on ne peut pas résoudre les problèmes que pose l’islam dans nos sociétés aujourd’hui sans questionner l’islam, sans le réformer. Il s’agit évidemment d’une réforme qui est orientée vers l’avenir et non celle des salafistes qui est tournée vers le passé. « Réforme orientée vers l’avenir » est un concept que j’ai forgé pour sortir du problème que pose le terme « réforme ». Cette réforme, c’est aux musulmans de la mener comme je l’ai toujours précisé d’une part, et, d’autre part, du problème terminologique que pose le terme « réforme ». Cette réforme, c’est aux musulmans de la mener comme je l’ai toujours précisé d’une part, et, d’autre part, elle ne peut pas exister en Occident indépendamment des pays musulmans. Et, de plus en plus, je constate, avec une grande déception, que l’Occident, et précisément la France, est une entrave à cette réforme de l’islam nécessaire pourtant pour les musulmans, les non-musulmans et toute l’humanité.

En parlant de l’islam, je précise toujours qu’il s’agit de l’islam que les musulmans connaissent et pratiquent, qui ne résume pas au Coran. Le Coran est le livre fondateur de l’islam, mais à lui seul ne constitue pas l’islam. Les musulmans l’ont entouré de tout un travail théologique, juridique et exégétique pour construire l’islam qu’ils conçoivent et pratiquent. Cet islam construit, par opposition à l’islam coranique, est le résultat d’un travail qui a été fait par l’être humain. Rien n’empêche donc sur le plan religieux de le refaire pour construire, à partir du même Coran, un nouvel islam fondé sur des valeurs humaines et séparé de sa partie politique. La réforme de l’islam est donc possible si, pour cela, il y a une volonté de la mener de la part des musulmans.

4/Vous indiquez que l’islam doit se reformer par lui-même. Mohammed ben Salmane a souhaité mettre en avant une pensée indépendante en matière de religion en annonçant son souhait de ne conserver que la sunna, le fait de supprimer les hadiths et d’avoir une ouverture vers un islam à interprétation. Est-ce que, de votre point de vue, cela pourrait permettre d’avoir une réforme de l’islam ?

On ne peut pas conserver la sunna (la tradition) et supprimer les hadiths (les paroles), car ce sont les hadiths qui constituent en grande partie la sunna et seconde partie de la sunna représente les actes du prophète. On ne peut pas non plus réformer l’islam si on conserve la sunna, car c’est elle qui pose le plus de problèmes. Autrement dit, c’est sur la sunna que s’appuie le conservatisme islamique.

  Quant à Mohammed ben Salmane, il a en effet déclaré qu’il voulait en finir avec le wahhabisme et il a critiqué les recueils des hadiths présentés par les musulmans comme porteurs de paroles authentiques de Mohamed, prophète de l’islam, et de de ce fait de vérités absolues alors qu’ils ont été écrits par des hommes 150 ans environ après la mort de Mohamed.  

Cependant, Mohammed ben Salmane souligne son attachement à l’islam du prophète et des quatre premiers califes. Ainsi, lui aussi veut une réforme salafiste de l’islam qui consiste à retrouver celui des premiers musulmans. Or, la réforme salafiste qui est tournée vers le passé n’est pas celle dont l’islam et les musulmans ont besoin aujourd’hui.

Le problème des réformateurs musulmans, dans leur très grande majorité, c’est qu’ils finissent toujours comme MBS par mettre des limites à la réforme ou insistent sur la nécessité de retrouver l’islam des premiers califes. Cela explique le fait qu’ils n’arrivent pas à proposer une véritable réforme de l’islam comme je l’explique dans mon ouvrage Islam : quel problème ? Les défis de la réforme.

La réforme salafiste n’est pas celle à laquelle, moi je n’appelle ni celle dont les musulmans ont besoin. Les musulmans ont besoin d’une réforme qui soit orientée vers l’avenir et qui les libère de l’emprise psychologique et épistémologique du passé, de la conception de la religion des anciens et de leurs valeurs sociales et morales. Une réforme qui construit du nouveau en islam. Quant à l’interprétation, l’islam n’existe dans la réalité humaine, c’est-à-dire les musulmans le conçoivent et le pratiquent, que parce qu’ils ont pratiqué l’interprétation (ou tafsir en arabe) d’une part, et, d’autre part, dans mon ouvrage « Sortir de l’islamisme », j’explique que réformer l’islam ne se limite pas à réinterprétation, car le problème ne se limite pas à l’interprétation comme le prétendent la majorité des musulmans.

5/ Dans votre ouvrage, vous affirmez que le féminisme “islamique” est une imposture intellectuelle. Comment expliquer vous cela alors que beaucoup de femmes musulmanes se disent des féministes islamiques ?

C’est à la fin des années 1970 que ce concept de « féminisme islamiste » a vu le jour. Il revendique l’égalité hommes-femmes, mais à partir de l’islam et par l’islam. Son objectif, comme le précisent ses adeptes, qui ne sont pas que des femmes, est de défendre un féminisme qui n’est pas imposé par l’Occident, mais issu de l’islam. Le féminisme islamique ne nie pas qu’il y a des inégalités dont souffrent les femmes musulmanes, mais refuse l’idée que l’islam, et précisément le Coran, en soit responsable. Pour lui, ces inégalités sont dues aux interprétations masculines erronées du Coran et non à l’islam. La solution pour le « féminisme islamique » est donc la réinterprétation.

Dans mon ouvrage, je dis en effet que le « féminisme islamique » est une imposture intellectuelle, mais surtout, je le démontre avec des arguments tirés du Coran que les inégalités entre les hommes et les femmes existent dans le Coran et que les réinterprétations des féministes islamiques ne sont pas convaincantes. Le féminisme islamique n’a jamais pu démontrer la validité de sa thèse selon laquelle les femmes et les hommes sont égaux dans le Coran. Il a, de ce fait, participé à l’affaiblissement du mouvement féministe dans le monde musulman, étant donné qu’il a expliqué aux femmes musulmanes qu’elles ne pouvaient revendiquer comme droits que ce qui existe dans le Coran et de l’islam alors qu’à l’intérieur de l’islam elles ne trouvent pas l’égalité qu’elles revendiquent si bien que beaucoup ont fini par renoncer à leur revendication.

6/ D’une manière générale, que peut-on dire des sujets qui occupent régulièrement le débat public français (comme la défense du port du voile formulée par certains ou la nécessité de prévoir des accommodements pour la prière ou le ramadan, par exemple) ? S’agit-il effectivement, d’un point de vue théologique, de prescriptions qui s’imposent sans équivoque aux musulmans ?

Ces revendications révèlent une montée d’un islam conservateur politique très activiste. C’ est un phénomène mondial qui se nourrit des bouleversements géopolitiques que connaît le monde.

Concernant le port du voile, il y a trois versets qui évoquent une certaine façon de s’habiller pour la femme, mais aucun ne dit que la femme doit couvrir sa chevelure. Aucun de ces trois versets n’évoque la chevelure ni la tête de la femme et aucun n’évoque le terme « voile », « hidjab » en arabe. Ce sont donc des commentateurs et surtout des juristes, exclusivement des hommes, qui ont décidé qu’il s’agissait de dissimulation des cheveux, du corps, du visage et même des mains de la femme.

Cependant, la partie principale du voile est la dissimulation de la chevelure de la femme de sorte qu’une femme qui ne dissimule pas sa chevelure n’est pas considérée comme voilée. Or, la dissimulation de la chevelure de la femme n’est pas citée dans le Coran. Il faut par ailleurs faire attention aux traductions qui évoquent le terme voile dans les versets en question alors qu’il n’existe pas dans la version originelle du Coran.  Voilà pourquoi, dans mon ouvrage, je dis que le voile n’est pas une prescription coranique.

Quant à la prière, le Coran, s’il l’évoque, ne précise pas comment la pratiquer. Il ne fournit donc pas d’accommodement pour sa pratique. Mais les musulmans, avant ce retour au conservatisme et à ce que j’appelle l’exhibitionnisme religieux, quand ils ne pouvaient pas prier dans la journée pour des raisons de travail ou autres, récupéraient le soir en arrivant à la maison. Je pense que c’est le meilleur des accommodements. Un musulman peut donc accomplir son devoir religieux dans l’intimité et la discrétion nécessaire de nos jours où les sociétés sont de plus en plus multiconfessionnelles.

Concernant le jeûne du mois de ramadan, il est cité dans le Coran. S’il est pour la majorité des musulmans un devoir religieux indiscutable, ce n’est pas le cas de tous. Certains musulmans affirment que le jeûne n’est pas obligatoire, mais une question de choix en s’appuyant sur la sourate La Vache, dont le verset 184 précise que ceux qui sont capables de jeûner – mais sous-entendu ne jeûnent pas – doivent se racheter en nourrissant un ou plusieurs pauvres :  « Un nombre compté de jours sauf si quelqu’un parmi vous est malade ou en voyage il pourra rattraper le même nombre de jours ultérieurement et  ceux qui sont capables de jeûner (mais qui ne jeûnent pas)doivent se racheter en nourrissant un pauvre celui qui est volontaire pour le bien il lui sera compté, mais jeûner est encore mieux si vous saviez ». ) .

Dans ce verset, on constate également que le Coran a prévu des accommodements en cas de maladie ou de voyage où la personne peut ne pas jeûner et de rattraper son devoir ultérieurement. Ainsi, aujourd’hui si le travail est pénible pour certains jeûneurs, le Coran leur donne la possibilité de ne pas jeûner et de rattraper les jours de repos. Je pense que c’est plus important économiquement et sur le plan de justice sociale et morale. Pourquoi les musulmans auront-ils des horaires de travail réduits, tous les ans et pendant un mois, quand les autres travailleront normalement ?

Pour des raisons économiques, les pays à majorité musulmane doivent décréter que les vacances annuelles soient pendant le mois de ramadan. Je pense que c’est un bon accommodement pour ces pays qui ne peuvent pas se permettre deux mois de vacances par an. La réalité de ces sociétés c’est que pendant le mois de ramadan les gens ne travaillent pratiquement pas hormis les femmes qui passent beaucoup de leur temps dans la cuisine.

7- Aboubakar Cissé a été assassiné dans la mosquée, il y a quelques jours. Beaucoup de voix en France sont élevées pour dénoncer l’islamophobie. Que pensez-vous de cette accusation souvent invoquée par un certain pan de la classe politique en France ? 

Dans mon ouvrage, j’ai abordé ce concept d’islamophobie que je n’ai pas analysé à travers les querelles politiques, ce n’est pas mon rôle ni mon objectif, mais à travers son histoire et les conséquences qu’il a ou qu’il pourrait avoir dans le futur.

L’islamophobie est constituée d’islam et de phobie qui est une peur maladive qui n’a pas raison d’être. L’islamophobie signifie donc une peur maladive de l’islam. Tout comme le concept d’islamisme, il place les causes de la peur en dehors de l’islam pour également présenter l’islam comme exempte de toute responsabilité quant à cette peur.

L’islamophobie n’est pas un concept inventé par les Frères musulmans, comme on l’entend souvent dans les médias Dans la Revue Sociétés politiques comparées en 2020, Jean-Louis Triaud rappelle que terme islamophobie a été utilisé en 1910 dans une thèse de doctorat en France. Or, la confrérie des Frères musulmans est née en 1928. Même si les Frères musulmans l’ont bien utilisé pour empêcher toute critique de l’islam.

En effet, cette accusation d’islamophobie est un obstacle à toute liberté d’expression critique dans le domaine de l’islam. Tout comme le concept d’islamisme, il mes l’islam a l’abri de tout esprit critique, ce qui consolide le conservatisme et l’islamisme.

Il faut savoir que les musulmans ont mis en place vers le Xe siècle des concepts et des théories qui avaient tous comme objectif d’empêcher la pensée de s’exprimer dès lors qu’il s’agit de l’islam. C’est ce que j’explique dans mon ouvrage Sortir de l’islamisme, mais avec davantage de détails dans mon ouvrage Islam, quel problème ? Les défis de la réforme publié en 2017.

Connaitre cette histoire de la pensée musulmane permet de réaliser que cette accusation d’islamophobie vient rallonger cette liste de concepts et de théories qui empêchent tous pensée de s’exprimer dès lors qu’il s’agit de l’islam. Aujourd’hui en France et en Occident, même ceux qui sont de culture ou de confession musulmane sont traités d’islamophobes quand ils essayent de porter un regard critique sur la religion musulmane. Donc cette accusation est très grave pour l’avenir de l’islam, qui a besoin aujourd’hui de se réformer d’évoluer et n’ont pas rester dans la même mise des anciens. 

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