L’Algérie- le français, une langue africaine



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La philosophe Razika Adnani estime que la dernière Coupe d’Afrique des nations (CAN) confirme l’importance du français sur le continent africain, et donc pour l’Algérie. Marianne


C’est la Coupe d’Afrique des nations, en Algérie, on ne parle plus que du Nigeria, de la Côte d’Ivoire… et surtout du Sénégal. Une bonne occasion pour les Algériens de se tourner vers l’Afrique et de se rappeler que l’Algérie appartient au continent africain. Ce continent qui compte aujourd’hui environ 200 millions de personnes parlant la langue française contre 65 millions de Français. Autrement dit seulement 30% environ des francophones dans le monde sont Français. Selon l’Organisation Internationale de la Francophonie, en 2050 environ, il y aura 700 millions de francophones dans le monde dont plus de 80 % seront Africains. La langue française n’est donc plus celle du colonisateur comme aiment encore la qualifier certains. Elle est aujourd’hui une langue africaine ; la langue appartient au peuple qui la parle et la fait sienne.

FRANCOPHONES ET ARABOPHONES

Mais en Algérie, on s’acharne encore sur elle. Alors que le pays traverse une étape importante de son histoire, pour certains c’est l’occasion de réaliser leur projet : mettre fin à la présence de la langue française en Algérie. Ce sont généralement les adeptes du courant conservateur et des arabophones. Le clivage entre francophones et arabophones et entre conservateurs et modernistes a toujours existé en Algérie. Au lendemain de l’indépendance, les opposants à la langue française s’en sont pris à cette langue au prétexte qu’elle était celle du colonisateur et qu’il fallait la remplacer par l’arabe, la langue du Coran et du panarabisme. Cependant, cette position étant purement politique ne reflétait pas des convictions personnelles étant donné que la plupart de ceux qui ont fustigé la langue française et arabisé l’école algérienne ne se sont pas gênés pour envoyer leurs propres enfants dans des écoles françaises.

Les langues sont peut-être ce que nos cultures humaines ont de plus vivant.” Claude Hagège

Aujourd’hui, alors que l’Algérie est en grande partie arabisée, ils avancent un autre argument : le français n’est pas la langue des affaires, il faut donc le remplacer par l’anglais. Or, si la langue française n’est pas la langue internationale des affaires, elle est bel et bien la langue des affaires en Algérie, mais aussi chez ses voisins comme le Maroc et la Tunisie. Ensuite, ne pas être une langue internationale des affaires n’est pas un argument pour mettre fin à une langue.

Avancer un tel argument revient à dire que ce n’est pas seulement le français qui doit être remplacé par l’anglais en Algérie, mais aussi l’arabe et le tamazigh étant donné que toutes deux ne sont pas des langues des affaires ni sur le plan international ni sur le plan national. Pire, ce sont même toutes les langues qui existent dans le monde qui doivent mourir pour être remplacées par l’anglais. Alors qu’avec la mort d’une langue, ce ne sont pas seulement des mots qui s’envolent, mais une mémoire, une histoire et une manière de penser ; un peu de notre humanité selon le linguiste Claude Hagège. “Les langues sont peut-être ce que nos cultures humaines ont de plus vivant”, écrit-il dans son ouvrage Halte à la mort des langues. 

LA PLACE DU FRANÇAIS DANS LA CULTURE ALGÉRIENNE

Prétendre que l’Algérie doit mettre fin à la langue française, car elle n’est pas la langue des affaires sous-entend que seul le domaine des affaires intéresse l’Algérie. Autrement dit au-delà des affaires, il n’y a rien d’autre d’important pour elle ni science, ni philosophie, ni littérature, ni art, ni histoire. Si le français n’est pas la langue internationale des affaires, il est en revanche la langue de la philosophie, de l’art et de la littérature. Il est la langue de Descartes, de Montaigne et de Voltaire. Celle des lumières et droits humains dont la liberté et l’égalité. Autant l’humain en fait des principes de son comportement, autant il va vers sa maturité. Certes, le développement de l’Algérie passera obligatoirement par le développement économique, mais il passera aussi, et avant tout, “par la qualité du facteur humain. Ce sont les femmes et les hommes qui font l’économie, la politique, construisent la société et en font la réussite.” (Razika Adnani, la nécessaire réconciliation, UPblisher, Paris, p. 32)

Une langue se construit et prend racine peu à peu

Une langue n’en remplace pas une autre, car chaque langue a son importance et sa richesse. L’importance de la langue française pour les Algériens réside également dans le fait qu’elle représente l’une des trois composantes majeures de leur culture et l’un de leurs lieux de mémoire. Penser le contraire, c’est aller à l’encontre de la réalité culturelle, linguistique et historique de ce pays. Une telle attitude serait nuisible pour l’Algérie d’autant plus qu’elle traverse une période cruciale de son histoire et qu’elle besoin de se construire. Il est impératif pour cela qu’elle s’appuie sur ses atouts et ses richesses au lieu de s’appauvrir en se privant d’une de ses langues, une partie de sa culture. L’Algérie a la chance de posséder trois yeux pour regarder le monde autour d’elle, pourquoi vouloir lui fermer un œil alors que les nations cherchent à s’enrichir humainement, intellectuellement et scientifiquement avec l’apprentissage des langues ? Assurément, un esprit fonctionnant avec plusieurs langues est plus ouvert, plus riche et plus flexible que celui qui fonctionne avec une seule langue. Toutefois, en Algérie, hormis l’arabe, on déteste les langues et on cherche des prétextes pour les exterminer, car chez beaucoup le tamazigh, langue ancestrale de ce pays, n’est pas plus avantagé que le français.

En Algérie, on ne se reconnaît pas dans les violences des supporters en France

Quant à l’idée de remplacer la langue française par la langue anglaise, on ne remplace pas une langue par une autre telle une veste qu’en enlève pour, en un geste, en mettre une autre à la place. La langue se construit et prend racine peu à peu. En attendant que fera l’Algérie ? Le français a presque deux siècles en Algérie. Faut-il le déraciner et ensuite attendre que l’anglais prenne racine ? Promouvoir l’anglais est certainement une bonne chose, mais cela ne nécessite pas la destruction d’une langue qui fait partie du langage des Algériens et porte une part de leur culture et de leur histoire.

Mettre fin à la langue française en Algérie revient à l’isoler de l’Afrique et de la Méditerranée auxquelles elle appartient, autrement dit la couper de son environnement économique, politique, linguistique et culturel.

Cependant, les organisateurs de la conférence des dynamiques de la société civile qui s’est tenue le 15 juin 2019 à Alger et de celle du dialogue national du 6 juillet 2019 ne sont vraisemblablement pas de cet avis. Sur leurs affiches seules deux langues, l’arabe et le tamazigh, sont représentées ; le français est délibérément exclu. Une façon de dire qu’il n’est pas une langue algérienne ou qu’ils ne s’adressent pas aux francophones. Alors que ces derniers sont majoritairement des Africains et des habitants des pays entourant l’Algérie.

Mettre fin à la langue française en Algérie revient à l’isoler de l’Afrique et de la Méditerranée auxquelles elle appartient, autrement dit la couper de son environnement économique, politique, linguistique et culturel. C’est la fragiliser davantage.

Razika Adnani

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9 Commentaire(s)

  1. SERADOUNI dit :

    Bonjour madame Adnani,
    Je viens de lire avec un immense intérêt, votre article concernant l’utilisation de la langue française en Algérie. Effectivement, cette langue internationale demeure une langue des sciences exactes, de la littérature, de la philosophie, et de la culture d’une manière générale, n’en déplaise à se détracteurs. Elle est le lien indéfectible entre les nations africaines, et entre l’Afrique et le monde francophone, comme vous l’avez souligné dans votre texte. Supposons que le français est une langue étrangère, l’arabe aussi en premier lieu, puis le reste des langues utilisées par les algériens, sont des langues étrangères. Si l’on suit le cheminement de ces dénigreurs, pour ne pas dire ces spécialistes de l’intox et de la sape, on n’aurait plus aucun idiome utilisable chez nous. En plus de cela, remplacer le français par l’anglais, ne réglerait pas le problème du sous développement chez nous, car il lui faudrait tout un environnement, et du temps, beaucoup de temps. Nous les francophones nous ne voudrions pas que cette langue fasse les frais d’inconscients, comme l’avait subit notre économie dans les années 80, par le dépeçage des unités industrielles, au nom de l’économie de marché, transformée en économie de bazar, comme le voulait les “épiciers” et autres parvenus du coin. En ce qui me concerne, pour la langue arabe, sa longue agonie a commencé au 12 siècle, en Andalousie, quand les extrémistes et autres charlatans brulaient en autodafé les oeuvres d’Avéroès, et d’autres savants andalous. La descente aux enfer dure jusqu’à maintenant. Les pays qui utilisent l’arabe comme langue de travail, sont en général les plus arriérés du globe. Luttons pour la pérennité du français en Algérie. Pas de demi-mesure avec ses détracteurs. Salut.

  2. Abderrezak dali dit :

    Très bonne analyse.Remplacer la langue française,c’est aussi le rejet de tous nos écrivains francophones qui se comptent par dizaines et c’est la mort de toute notre presse francophone.par conséquent c’est la ruine programmée de notre pays puisque toutes nos grandes entreprises utilisent le français comme langue de travail.Mais où allons nous si les hautes instances du pays suivent les directives des conservateurs arabo-musulman extrémistes ?

  3. Mustapha Benmami, professeur de Lettres françaises en retraite, ex-enseignant de l'arabe au Collège. dit :

    Pourquoi s’obstine-t-on à qualifier la langue arabe de langue du Coran? Je suis désolé et je m’inscris en faux contre cette idée répandue. L’arabe est aussi la langue de la poésie et des romans où il est question d’amour et des questions sociétales. Arrêtons de véhiculer ces idées fausses. Je conseille respectueusement à l’auteur de cet article de lire l’ouvrage de Vincent Monteil intitulé “L’arabe moderne”. (M.Mustapha Benmami, professeur de Lettres françaises en retraite; e-mail:mustaphasatir@gmail.com)

  4. Sider dit :

    Je pense
    J’écris
    Je réfléchis
    Je parle
    J’aime
    Je ne lis qu’en Français
    Avec cette Langue je suis heureux de vivre

  5. Rabia Teguia dit :

    Franchement je ne vois pas ou est le problème (enfin si, celui de la discorde !) mais qu’importe toutes ces zizanies les Africains en général sont tout à fait capables d’apprendre en plus du français ( on ne restitue pas “un butin de guerre” diantre ! On y adjoint d’autres langues, l’anglais, l’allemand et même l’espéranto si l’on. n’est pas uniquement préoccupé par l’appât du gain !?

  6. Mebarki dit :

    Ses gens qui veulent Interdire le français ils faut qu’ils rappel leurs enfants de rentrer en Algérie.. Privé les enfants algériens du français et leurs enfants ils sont tous en france.. Je

  7. Briki dit :

    Les arguments développés par la philosophe R.Adnani pour le maintien du Français sont reçevables et doivent être médités par le pouvoir…Rappelons nous que même l’arabisation avait cŕéé des remous á cause du manque de préparation et avait conduit le ministre de l’éducation nationale á quitter apres son poste..Nous sommes en présence d’une ‘anglicisation’ précipitée…L’Algérie est devenu un pays bilingüe (Français et Arabe).On aurait pu dire il faut remplacer le Français par le Tamazight ou par l’Arabe darija.Une décision plutôt irrationnelle..Seul le bilinguisme est approprié pour les enfants.Les ‘surcharger’ par une langue autre que langue étrangère pourrait leur créer des troubles..Si vraiment on pense aux affaires et á la technologie,il n’y a pas mieux que de se contenter d’apprendre l’Anglais comme langue etrangère au Moyen et s’y former á l’Université selon la discipline suivie…et s’abstenir de recruter 25000 enseignants…au lieu d’investir dans la formation universitaire

  8. Slimani dit :

    Soutiens a Madame Razika Adnani pour son point de vue sur la langue française en Algérie et vive la liberté d’expression

  9. Chatour dit :

    Des dizaines d’années d’apprentissage de langue arabe, des feuilletons-professeurs-cordonniers-chomeurs-mecaniciens-voyous-Égyptiens, à la rescousse, puis Syriens, libanais, Palestiniens et autres renégats du monde arabe.
    Pour quel résultat ????

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