Une femme qui porte sur la tête la preuve de sa soumission à la charia ne peut pas être engagée pour la démocratie


Même s’ils n’étaient pas parfaits, l’apparition des régimes démocratiques dans le monde musulman, lors de la première moitié du XXe siècle, a été une étape historique dans cette partie du monde. L’arrivée de Khomeini au pouvoir en Iran en 1979 et l’instauration d’un régime théocratique islamique a marqué réellement le début de la fin de cette étape qui a fait rêver beaucoup de populations dans le monde musulman. Le recul de la démocratie a été accompagné partout d’un retour au port du voile, l’arme de guerre des islamistes. Khomeini l’a imposé aux Iraniennes dès son arrivée au pouvoir dans sa version la plus intégriste et le phénomène s’est très vite répandu, et plus rapidement que prévu, dans tout le monde musulman.
La charia ne reconnaît pas la démocratie
Dans une publication sur twitter Florence Bergeaud-Blackler présente Dalia Ziada comme une intellectuelle engagée pour la démocratie au Moyen-Orient, car elle met en garde l’Europe contre les Frères musulmans. Le problème est que cette femme porte le voile, c’est-à-dire elle porte “sur la tête le signe de sa soumission à la charia ” ( Razika Adnani, Ces femmes qui menacent les acquis des femmes https://www.razika-adnani.com/ces-femmes-qui-menacent-les-acquis-des-femmes/, Marianne 2020), ne peut pas être engagée pour la démocratie. La démocratie est fondée sur l’égalité et la liberté comme principes, ce que la charia, le Droit musulman mis en place entre environ le VIIe siècle et le X siècle, ne reconnaît pas.
C’est cette même charia, à laquelle les démocrates musulmans n’ont pas voulu totalement renoncer au XXe siècle et précisément dans le domaine de la famille pour empêcher les femmes d’être juridiquement égales aux hommes, qui a été la cause principale qui a permis aux islamistes de gagner leur bataille contre les démocrates dans les pays musulmans. C’est ce que j’explique dans mon étude publiée par Fondapol : Maghreb, l’impact de l’islam sur l’évolution sociale et politique. À moins qu’il ne s’agisse de “shura” que les islamistes (ceux pour qui l’islam est une religion et en même temps une politique) présentent comme une démocratie spécifique pour les musulmans.
Une femme qui porte le voile ne peut pas être démocrate. Le voile est une pratique qui instaure l’inégalité entre les femmes et les hommes alors que la démocratie instaure l’égalité. Il suffit de se rappeler que le voile est imposé aux femmes et non aux hommes. Il leur est imposé par les hommes comme signe de leur infériorité. Le voile infériorise la femme et déshumanise l’homme, alors que la démocratie valorise l’humain en lui reconnaissant sa capacité à être maître de son destin.
Être contre les Frères musulmans n’est pas une preuve qu’on est contre l’islamisme ou l’islam politique
Une femme vivant en Europe qui porte le voile, l’arme de guerre des islamistes, ne peut pas mettre en garde les Européens contre l’islamisme activiste, de même le fait qu’une femme soit contre les Frères musulmans n’est pas une preuve qu’elle soit contre l’islamisme ou l’islam politique. Autrement dit, ce n’est pas une preuve qu’elle lutte pour un islam qui soit une religion seulement et non une religion et en même temps une politique.
Les Frères musulmans représentent une partie de l’islamisme, ou de l’islam politique. C’est en effet une grande erreur de croire qu’il suffit qu’une personne soit contre un groupe islamiste (qui pratique un islam politique) pour affirmer qu’elle n’est pas elle-même islamiste ou qu’elle sépare l’islam de la politique. La réalité, politique et historique, montre que deux groupes peuvent s’opposer et même se faire la guerre alors qu’ils utilisent tous les deux l’islam comme moyen pour prendre ou exercer le pouvoir, comme c’est le cas des chiites et des sunnites. Je l’ai souligné dans mon ouvrage « Le blocage de la raison dans la pensée musulmane », publié en 2011 dans ma critique de l’écrivain jordanien Chaker al-Nabourci qui prétendait que le premier calife omeyyade était laïc, car il s’était opposé à Ali, dernier calife « bien guidé », qui était un religieux.
Présenter une femme qui porte le voile comme une démocrate qui lutte contre l’islamisme est la meilleure manière de faire la promotion du port du voile. On ne peut pas être contre le port du voile, le dénoncer quand il s’agit des autres et en faire la promotion quand cela nous arrange. Les islamistes se nourrissent de ce genre d’ambiguïtés et d’erreurs.
Razika Adnani