Razika Adnani : «La guerre des 12 jours, une autre victoire pour les mollahs ?»


Beaucoup d’analystes géopolitiques ont affirmé que le régime chiite iranien était sorti affaibli de la dernière guerre, dite la guerre des 12 jours, qui l’avait opposé à Israël et aux États-Unis. En effet, l’Iran en est sorti avec des pertes considérables. Sur le plan de la politique internationale, cette guerre a révélé un Iran isolé, étant donné que ni la Russie, ni la Chine, ni les pays musulmans sunnites ne lui ont manifesté leur soutien. Sur le plan militaire, elle a montré un Iran incapable de protéger sa population en situation de guerre et qui a encaissé beaucoup de pertes. Cependant, si on analyse la situation selon l’idéologie du chiisme, l’histoire de l’islam politique, la doctrine politico-religieuse de Khomeiny et du point de vue du monde musulman, on arrive plutôt à une autre conclusion.
L’Iran est le pays qui compte aujourd’hui le plus de chiites dans le monde et dont le pouvoir est aux mains d’un clergé chiite. Le chiisme est une version de l’islam qui est née à Médine, aujourd’hui en Arabie saoudite, en 632, le jour même de la mort du prophète d’un différend politique entre Ali, son gendre et son cousin, et les autres compagnons du prophète. Ali a revendiqué son droit légitime de succéder au prophète comme guide politique et spirituel des musulmans, que les autres compagnons du prophète ne lui ont pas reconnu. Ils ont alors désigné Abou Baker comme calife, ensuite Omar, ensuite Othman et enfin Ali. Non seulement Ali est arrivé en quatrième position, mais son pouvoir lui a été également contesté par le gouverneur de Damas Muawiya et une guerre civile qui a duré cinq ans les a opposés. Elle a fini par la victoire du dernier qui fonda la dynastie des Umayyades. Ali a été assassiné en 661 par ses anciens partisans et, en 680, son fils al-Hossein a été massacré par les Umayyades lors de la bataille de Karbala. Des événements politiques que les chiites n’ont jamais oubliés. Le chiisme, qui était une doctrine politique, est alors devenu une théologie et une idéologie constituant un islam à part entière et surtout en opposition à l’islam sunnite qui était celui de l’État.
Le chiisme, qui était une doctrine politique, est alors devenu une théologie et une idéologie constituant un islam à part entière et surtout en opposition à l’islam sunnite qui était celui de l’État.
Lire également Razika Adnani “Derrière la guerre entre Israël et l’Iran, le schisme entre sunnites et chiites“
Dans toute leur histoire, les chiites ont été animés par le désir de venger Ali et son fils al-Hossein, de reprendre le commandement politico-religieux du monde musulmans usurpé par les sunnites et de récupérer les deux villes saintes de l’islam : La Mecque et Médine. Ils ont réalisé des avancées importantes dans certaines étapes de l’histoire musulmane dont le Califat fatimide qu’ils ont créé au Xe siècle (909 -1171). Le problème, c’est qu’ils ont toujours été minoritaires dans le monde musulman et les villes saintes ont continué d’être dans les mains des sunnites, leurs ennemis ancestraux, faisant que leur désir de vengeance n’a jamais été réellement assouvi.
Le chiisme s’est implanté en Iran et est devenu la religion officielle du pays en 1501 où la population majoritairement sunnite a été forcée de se convertir au chiisme. Les dignitaires religieux chiites se veulent toujours des descendants du prophète, ce qui leur donne un statut social et politique spécifique, mais aussi une légitimité pour porter l’idéologie et le combat du chiisme, le vrai islam selon eux, contre le sunnisme, le mauvais islam. En 1979, la branche la plus conservatrice et fanatique, guidée par Khomeiny (1902-1989), arrive à prendre le pouvoir en Iran. L’événement était grandiose pour tous les musulmans conservateurs et notamment les militants islamistes, c’est-à-dire ceux qui refusent toute séparation entre le politique et le religieux en islam. Pour les Mollahs iraniens, c’était une étape historique vers la réalisation de leur objectif final : unifier les musulmans pour constituer un seul peuple musulman indivisible sous l’autorité de l’Imam et donc du chiisme, comme l’affirme Khomeiny dans Le petit livre vert de l’Ayatollah Khomeiny.
Pour les Mollahs iraniens, c’était une étape historique vers la réalisation de leur objectif final : unifier les musulmans pour constituer un seul peuple musulman indivisible sous l’autorité de l’Imam et donc du chiisme, comme l’affirme Khomeiny dans Le petit livre vert de l’Ayatollah Khomeiny.
Ainsi, si Khomeiny évoque la guerre sainte contre l’Occident, dont fait partie Israël selon lui, qu’il présente comme le monde du mal, de l’impérialisme et de l’injustice, en finir avec l’Occident et Israël n’est pas la finalité de son idéologie qui est d’unifier tous les musulmans sous l’autorité de l’Imam, mais un des moyens vers sa réalisation. Pour les Mollahs, le conflit israélo-palestinien est ce que l’histoire leur a offert pour réaliser cette finalité. Afficher une hostilité à Israël et ses alliés les États-Unis, ce que la majorité des pays musulmans sunnites ne font plus, est le moyen le plus efficace pour influencer les populations musulmanes sunnites et les avoir dans leur camp ou même les voir se convertir au chiisme.
Ils n’ont pas eu tout à fait tort. Le régime chiite iranien n’a jamais été autant glorifié, aimé et soutenu par les populations musulmanes – sunnites et chiites confondus – en dehors du peuple iranien que cette fois-ci. Pour la plus grande partie, les Mollahs sont des héros. Ils sont les seuls à avoir tenu tête à Israël depuis la guerre du Kippour de 1973, à lui infliger des dégâts sur son propre territoire et à ne pas se faire petit devant l’arrogance des États-Unis. Même les populations du Moyen-Orient qui ont craint l’embrasement de la région et ont voulu que la guerre s’arrête ont exprimé de l’admiration pour le régime iranien et les Mollahs. Très rares sont les populations qui en Syrie, au Liban et en Irak ont rejeté les Mollahs en rappelant leur entrisme et les malheurs qu’ils ont causés à leur pays.
Le régime iranien et par conséquent les Mollahs ne sortent pas affaiblis de cette dernière guerre qui les a opposés à Israël et aux États-Unis même si elle leur a démontré que l’idée du gouvernement islamique universel dont parle Khomeiyni semblait plus compliquée à réaliser.
Le régime iranien et par conséquent les Mollahs ne sortent pas affaiblis de cette dernière guerre qui les a opposés à Israël et aux États-Unis même si elle leur a démontré que l’idée du gouvernement islamique universel dont parle Khomeiyni semblait plus compliquée à réaliser. Cependant, elle leur a permis d’avoir une image positive auprès d’une grande partie des populations musulmanes chiite et sunnite compris, ce qui est pour eux une victoire de plus dans leur marche vers la réalisation de la finalité de leur doctrine : gouverner spirituellement et politiquement le monde musulman.
C’est assurément la raison pour laquelle l’Arabie saoudite a déclaré que si l’Iran disposait de la bombe nucléaire, elle aussi voulait l’avoir.
Razika Adnani
2 Commentaire(s)
Merci pour ces explications, Madame. L’Iran, un grand pays, de 90 millions d’habitants, fier d’avoir tenu tête à un tout petit Israël de même pas 10 millions ! L’Iran s’est désigné cet ennemi qu’il diabolise, il se crée un Satan et se bat contre lui. On nage en plein Orwell, où le gouvernement décide du jour au lendemain qui est un pays ami et qui est un ennemi. Les islamistes radicaux (chiites et sunnites) n’ont semé que la guerre depuis un siècle. Les peuples n’ont récolté que la misère, les défaites et la destruction. A quand un grand pays musulman, qui enseignera à son peuple le respect des autres (y compris les Sunnites, les Chiites, les Juifs, les Chrétiens…), et saura faire LA paix ? Offrir la paix aux peuples. Ce sera la vraie grandeur !
En effet, la démagogie et l’idéologie islamique réussit toujours à transformer les défaites les plus évidentes en victoire pour Dieu. Ce qu’il faut rappeler comme raison essentielle dans les raisons qui expliquent la “durabilité” du pouvoir politico-religieux depuis 1979, c’est la compréhension et l’analyse du sytème de “velayet-e-fekih” (la gouvernance du jurisconuslte) élaboré par Khomeiny. En fait, le facteur le plus déterminant dans l’exercice du pouvoir dans le monde arabo-islamique (surtout arabe) c’est le pouvoir de l’armée. Les exemples les plus frappants (Egypte et Algérie): l’armée a su établir un pacte entre son pouvoir et une “délégation” de pouvoir à un islamisme “NON-ARMÉ” qui domine juste les individus en les maintenant dans le statu de croyants et en les empêchant de devenir citoyens… Or, dans le système élaboré par Khomeiny (qui avait parfaitement compris cette “dangerosité” permanente de l’armée) , le jurisconsulte “guide de la révolution” (Khamenei) dispose de pouvoirs absolus (Etat-major de l’armée, gardiens de la révolution, pouvoir judiciaire, président de la “République”…). Sans la prise en compte de cette perversité politico-religieuse, la main mise durable des mollahs sur le pouvoir en Iran n’est pas compréhensible.