Islam, islamique et islamisme, ma réponse à Mohamed Louizi



© Le contenu de ce site est protégé par les droits d’auteurs. Merci de citer la source et l'auteure en cas de partage.

Un des concepts les plus influents, en ce début du XXIe siècle, en Occident et particulièrement en France, est assurément celui de « l’islamisme » défini comme un islam politique qui serait un mouvement contemporain distinct de l’islam. Forgé en France au début des années 1980, et sans aucun fondement ni historique ni théologique, il est certain, que tout nous dit aujourd’hui, que l’avenir du monde et du monde musulman en particulier en dépend.

Le concept d’islamisme comme un islam politique « qui serait un mouvement contemporain qui n’aurait rien à voir avec l’islam », s’inscrit dans le même objectif des islamistes, qui sont des conservateurs, pour qui « si problème, il y a, il est dû aux musulmans et non à l’islam ». L’objectif de cette expression, qu’ils ont forgée dès le début du XXe siècle pour contrer le mouvement de réforme des sociétés musulmanes et notamment la réforme de l’islam, est de mettre l’islam à l’abri de tout regard critique et de placer les problèmes en dehors de l’islam. Le concept de l’islamisme lui aussi place les problèmes qui se posent en dehors de l’islam, c’est à dire dans l’islamisme qui n’aurait rien à voir avec l’islamisme, et met ainsi lui aussi l’islam à l’abri de tout regard critique. Placer les problèmes en dehors de l’islam revient à chercher les solutions en dehors de l’islam, c’est-à-dire sans jamais interroger l’islam.

Si ce concept d’islamisme tel qu’il est forgé en France m’a interpelée, c’est parce qu’après de longues années de recherche et d’étude de l’islam et de l’histoire des sociétés musulmanes, j’ai déduit et compris que la solution pour tous les problèmes qui se posent aujourd’hui en islam réside dans sa réforme. Je ne parle pas de la réforme de l’islam en France ou ou d’ Occident, mais de l’islam tout court. L’idée de la réforme en elle-même qui invite les musulmans à examiner leur religion va à l’encontre du concept de l’islamisme tel qu’il a été forgé en France au XXe siècle.

Accepter le concept de “l’islamisme” dont l’objectif est de garder l’islam en dehors de tout regard critique, c’est me contredire, c’est trahir des millions de femmes et d’hommes qui vivent dans les sociétés musulmanes et qui souffrent de l’islam conservateur qu’on leur impose comme une l’authentique parole divine. Dans mon ouvrage Islam : quel problème ? Les défis de la réforme, je distingue entre « l’islam révélé » et d’ « islam construit », deux concepts que j’ai forgés. Dans mon dernier ouvrage Sortir de l’islamisme, je démontre que construire un nouvel islam à partir du même #Coran est possible.

Monsieur Mohamed Louizi, qui n’est pas d’accord avec ma critique du concept d’« islamisme », a réagi sur son compte twitter avec ce commentaire qui malheureusement ne se limite pas à la critique des idées :

https://x.com/MohamedLOUIZI/status/1932090369639854363
Screenshot

Voici ma réponse

Cher Mohamed Louizi,

Le terme islamique,إسلامي en arabe, ne veut pas dire islamiste ( de l’islamisme), c’est-à-dire qui pratique un islam politique distinct de l’islam, sens qu’on lui a donné en France au début des années 1980 et celui que je critique. Car du XVIIe au milieu du XXe siècle, le terme « islamisme » désignait tout simplement la religion musulmane comme il apparaît dans tous les ouvrages avant le début des années 1980.

La preuve : cet extrait du livre el –Muqqadima d’Ibn Khaldun : « ( Il doit les apprendre) s’il veut connaître les véritables bases de la loi religieuse et faire remonter les maximes de la jurisprudence musulmane jusqu’à celui qui a promulgué l’islamisme (c’est-à-dire le prophète) et qui nous l’a communiqué de la part de Dieu ». – (Les prolégomènes), traduction William Mac Guckin de Slane, page 834). Personne ne se sent choqué par l’utilisation du terme d’islamisme » en parlant du prophète

Je suis même surprise qu’un arabophone puisse écrire que le terme ,إسلامي (qui est l’équivalant d’islamique), veut dire islamiste alors que إسلامي Islami c’est tout simplement ce qui est relatif à l’islam إسلام. La preuve en est qu’en arabe on dit en parlant d’islam, “din islami ” qui est l’équivalant de « religion islamique » qui veut dire « religion musulmane ». et qu’en parlant de « société musulmane », on dit « moudjtama islami » qui ne veut en aucun cas dire société islamiste. En arabe, on dit également « فكر إسلامي « en parlant de « pensée musulmane ».

Quant au livre d’Achaari « el -Firaques el -islamia », c’est-à-dire « Les doctrines islamiques », le traduire par « Les doctrines des islamistes » est totalement incorrect. C’est vouloir faire dire au terme islamiya (féminin du terme islami) et au livre ce qu’ils ne disent pas. D’ailleurs, le livre cite toutes les doctrines et écoles théologiques, juridiques et politiques sans distinction, y compris les Muatazilites et les Murdjia ( que je cite dans mon ouvrage Sortir de l’islamisme), c’est la preuve que l’auteur parle des musulmans et non des islamistes ( concept créé en France et inconnu dans l’histoire de la pensée musulmane). Quant à Ali Adderraziq, pour moi, si Atatürk a aboli le califat sur le plan politique, Ali Adderraziq l’a aboli sur le plan intellectuel comme je le dis dans cette conférence : https://www.youtube.com/watch?v=ljIqLjY1nms.

Le terme إسلامي “islamique” est utilisé, ces denières années, comme l’équivalent du terme “islamiste” par certains arabophones, après avoir abandonné le terme “islamaoui ” qui a été créé au XX siècle. Cependant, il est utilisé uniquement en parlant des personnes afin de les distinguer du “muslim ( musulman). Mais en aucun cas, ce terme islami إسلامي ne peut être utilisé dans le sens d'”islamiste” en parlant d’une doctrine ou d’un mouvement. Que le terme islamique soit utilisé par Achaari dans le titre de son ouvrage, cel n’ est en aucun cas un argument que le terme islamiste était connu dans la langue arabe au Xe siècle.

Dans mes ouvrages Islam : quel problème ? Les défis de la réforme et Sortir de l’islamisme, j‘explique comment, dans l’histoire de l’islam, dès les premiers siècles, il y a eu des voix qui ont appelé à la séparation du religieux et du juridique (c’est-à-dire du politique) et comment la position des juristes a fini par s’imposer. Mais j’explique également comment les musulmans ont fini par opter pour un islam qui n’est pas dissocié de sa dimension politique, c’est-à-dire pour « l’islam des juristes » concept que j’ai forgé dans mon ouvrage Islam : quel problème ? Les défis de la réforme. Je rappelle que dans le monde musulman, le califat a été aboli, mais que l’islam et la politique sont toujours restés imbriqués.

Quand Ali Adderraziq affirme que l’islam est seulement spirituel, il a certainement raison pour la période de La Mecque. Cependant, pour la période de Médine, cela pose sérieusement la question des versets coraniques qui évoquent l’organisation de la société et de l’histoire du prophète qui a mené des guerres politico-religieuses, guerres que le Coran lui-même évoque. Pour moi, nier la réalité ne permet pas de résoudre les problèmes que pose l’islam et en particulier celui de l’islam politique ( de l’islamisme dans le sens qu’on donne aujourd’hui à ce terme), ce qui n’est pas dans l’intérêt des musulmans d’Occident, mais plus particulièrement ceux des pays musulmans.

Sans reconnaître l’existence d’un problème, on ne peut pas le régler. C’est la raison pour laquelle j’appelle à la réforme de l’islam dont un des objectifs est de le séparer de sa dimension politique. Ce n’est qu’en reconnaissant cette imbrication entre le religieux et le politique en islam, en la désignant, que les musulmans pourront mener une réflexion sérieuse pour la dépasser. “Reconnaître pour dépasser” comme je le dis dans mon ouvrage #Sortir de l’islamisme. En tenant ces propos, je m’adresse davantage aux #musulmans comme je l’ai écrit dans un article publié en 2020 en Algérie « L’islam est la religion de l’État » n’est bénéfique ni pour l’État ni pour l’islam :

La différence entre Ali Abderraziq et moi, c’est que je ne nie pas la réalité de l’islam bien au contraire je l’interroge à la recherche de solutions, alors que lui, il a voulu nier cette réalité ( à l’exception du synthème califal sur lequel je suis d’accord avec lui) comme beaucoup, et c’est une des raisons de l’échec du mouvement de la nahda comme je l’ai conclu dans mes travaux de recherche. Le concept d’islamisme comme islam politique qui n’aurait aucun lien avec l’islam est un autre obstacle qui empêche cette réforme. Pire, il s’inscrit dans l’objectif des islamistes eux-mêmes, comme je l’explique dans mon ouvrage « Sortir de l’islamisme ».

Quant à « l’essentialisation » et aux « conclusions rapides », je pense qu’il faut éviter de mettre des étiquettes sur les gens et se limiter aux débats d’idées. Pour le reste, je vous invite à lire mes livres et mes articles (plus de 200) si vous êtes à la recherche d’autres arguments.

Bien à vous,

Razika Adnani

© Le contenu de ce site est protégé par les droits d’auteurs. Merci de citer la source et l'auteure en cas de partage.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *