Discours de Razika Adnani lauréate du Prix Science et Laïcité pour son ouvrage Sortir de l’islamisme
Razika Adnani a obtenu le prix Sciences et Laïcité décerné par le Comité Laïcité République pour son ouvrage Sortir de l’islamisme et pour l’ensemble de son travail de recherche dans le domaine de l’islam et de la pensée musulmane. La cérémonie a eu lieu à l’Hôtel de Ville de Paris et le prix lui a été remis par l’avocat Richard Malka.








Le discours de Razika Adnani
Messieurs les ministres, Madame le Maire, Monsieur le Président du CLR. Mesdames et Messieurs. Je suis très honorée et très heureuse de recevoir ce prix de laïcité et science. Je remercie le Président du CLR Monsieur Gilbert Aberdjel, le Président du jury, Monsieur Pascal Bruckner, et tous les membres du jury.
Mon ouvrage « Sortir de l’islamisme », publié en 2024, s’inscrit dans la continuité de mon travail de recherche dans le domaine de l’islam et de la pensée musulmane que j’ai commencé lorsque l’Algérie a été frappée de plein fouet par l’islam politique, ou l’islamisme, le plus fondamentaliste, le plus patriarcal et le plus meurtrier et lorsque j’ai ressenti le besoin de me protéger contre son discours qui s’imposait à nous partout et y compris sur le lieu de travail et notamment lorsqu’ il s’agissait de mes élèves. Il fallait que je sois capable, moi leur professeur, de leur répondre et qu’ils ne puissent pas me mettre en difficulté.
Je voulais également répondre à mes interrogations, car je refusais d’accepter ce que le discours religieux nous présentait comme des vérités absolues. J ’ai refusé de renoncer à ma pensée et à ma raison. J’ai refusé de cesser de croire à l’esprit critique que j’inculquais à mes élèves. Beaucoup avaient abdiqué y compris mon professeur de théologie à l’université, spécialiste du mutazilisme, cette grande école théologique rationaliste qui a prospéré au IXe siècle.
Je n’ai pas commencé mes recherches au XXe siècle avec la création des Frères musulmans, mais avec l’avènement de l’islam au VIIe siècle et avec la mise en place de la pensée musulmane. Cette pensée, qui englobe les commentaires du Coran, les recueils des hadiths les livres de Droit ou de la charia et la théologie qu’on appelle la science du kalam, constitue une partie intégrante de l’islam ou devrait-on dire des islams, car à partir du même Coran, c’est-à-dire d’un même islam coranique, les musulmans ont construit plusieurs islams qu’ils pratiquent.
Cette réalité de l’islam et de son histoire m’a permis de déduire que l’islam patriarcal, archaïque, voire violent proposé aux musulmans n’était pas une fatalité et que rien n’interdisait, sur le plan religieux, aux musulmans de construire un autre islam plus compatible avec notre époque et les valeurs de l’humanisme. Pour moi, aucun texte ne peut obliger l’être humain à être ce qu’il ne veut pas être. Aucun texte ne peut l’obliger à inférioriser la femme s’il ne veut pas l’inférioriser ou à tuer s’il on ne veut pas tuer.
Au XXe siècle, dans le monde musulman, des intellectuels ont voulu cette réforme de l’islam qui le libère de l’emprise des anciens. Ils n’ont pas pu la concrétiser. Ils se sont heurtés aux conservateurs et aux obstacles théologiques et épistémologiques qu’ils ont mis en place.
Aujourd’hui, je constate avec beaucoup de tristesse qu’en France la voix des musulmans, de confession ou de culture, qui portaient le projet de l’« islam des lumières » comme ils l’appelaient, autrement dit qui voulaient réformer l’islam, l’adapter à notre époque, est en voie de disparition pour ne pas dire qu’elle a totalement disparu. Elle s’est heurtée, elle aussi, à de nombreux obstacles dont celui du concept d’islamisme forgé en France au XXe siècle lorsqu’on a décidé de donner au terme « islamisme » un autre sens, celui de l’islam politique.
Le problème, c’est qu’on a désigné cet islamisme comme la cause de tous les problèmes et on a décidé qu’il était né au XXe siècle et qu’il n’avait aucun lien avec l’islam. Avec une telle définition du terme islamisme, tout travail au sein de l’islam qui mène à son évolution et sa réforme n’a pas de raison d’être. En effet, pourquoi réformer l’islam si le problème réside dans l’islamisme qui n’est pas l’islam ?
Si on admet que l’islamisme signifie l’islam politique, la distinction qu’on fait en France et en Occident entre islam et islam politique n’a aucun fondement ni historique ni théologique. Par ailleurs, en empêchant tout regard critique porté sur l’islam, elle est le meilleur allié de l’islamisme, qui est avant tout un conservatisme. Aucune lutte contre l’islam politique et le fondamentalisme islamique ne peut être efficace et pérenne si elle n’est pas menée à l’intérieur de l’islam, lutte dont l’arme doit être avant tout celle de la connaissance.
Parce que nous célébrons aujourd’hui les 120 dans de la laïcité, je précise que l’objectif final de la réforme de l’islam doit être sa séparation de la dimension politique. Ainsi seulement, il sera compatible avec la laïcité. La laïcité qui n’est pas le refus de la religion, mais le refus que la religion intervienne dans la gestion des affaires de la cité ou qu’elle oriente la politique. La laïcité permet ainsi à la religion de retrouver sa nature première, celle de s’occuper de la relation du croyant avec le divin.
Je vous remercie pour votre attention
Razika Adnani