Au Maghreb et dans le monde arabe, le débat autour de la CEDAW (Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes) fait rage



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Dans le monde arabe et au Maghreb, le débat fait rage autour de la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Il a été suscité par la levée par l’Algérie, le 4 aout dernier, pardécret présidentiel, de la réserve sur l’article 15.4 de cette convention qu’elle a ratifiée en 1996. L’article exige que les États « reconnaissent à l’homme et à la femme les mêmes droits en ce qui concerne la législation relative au droit des personnes à circuler librement et à choisir leur résidence et leur domicile ». Les conservateurs et lesislamistes, qui ne veulent pas que l’islam soit séparé de sa dimension politique et qui veulent que la société soit organisée selon le Droit musulman conçu par les juristes lors des premiers siècles de l’islam, sont très en colère.

Une réserve inconstitutionnelle

Pour les islamistes et les conservateurs, la levée de la réserve sur cet article ne devait pas avoir lieu. Or, selon la Constitution algérienne, c’est la réserve sur l’article 15.4 de la CEDAW qui n’aurait pas dû avoir lieu. Autrement dit, l’Algérie a mis une réserve sur ce qu’elle reconnaissait dans sa Constitution, la loi fondamentale du pays, qui stipule depuis 1963 que tous les citoyens sont égaux devant la loi et qu’aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe n’est acceptée. Elle stipule également, et cela depuis 1976, que « tout citoyen a le droit de choisir librement le lieu de sa résidence et de circuler librement sur le territoire national. Le droit d’entrée et de sortie du territoire national lui est garanti ». La réserve sur l’article 15-4 de la CEDAW était également contraire à la réalité sociale et juridique de l’Algérie d’aujourd’hui étant donné qu’aucune loi n’oblige la femme algérienne à demander la permission à son mari ou à son père pour sortir de la maison, pour voyager ou pour choisir son domicile. Beaucoup de femmes en Algérie vivent seules et voyagent en toute liberté.

La décision de l’Algérie de lever cette réserve est donc très importante en matière de progrès dans le domaine de la réalisation du système constitutionnel dans lequel les lois secondaires (celles du Droit et les décrets) ne doivent pas contredire les lois fondamentales de la Constitution. Ce pas doit être suivi par d’autres pas notamment dans le domaine du Code de la famille dont beaucoup de lois, malgré la réforme de 2005, doivent être abolies pour qu’il reconnaisse davantage l’égalité entre les femmes et les hommes et soit de ce fait plus cohérent avec la Constitution. Comme je l’explique dans mon étude Maghreb, l’impact de l’islam sur l’évolution sociale et politique, le Droit algérien notamment dans le domaine de la famille, comme c’est le cas dans une grande partie des pays musulmans, n’est pas en cohérence avec la Constitution, ce qui est un grand problème constitutionnel.

L’argument du Coran n’est pas valide  

Cependant, les islamistes et les conservateurs, hommes et femmes, dans tout le monde arabophone profitent de cet événement algérien pour mener une compagne contre la CEDAW et précisément contre l’égalité entre les hommes et les femmes qu’ils qualifient de catastrophique. Ils brandissent les arguments de la religion et des traditions qu’ils ont toujours utilisés pour imposer un Droit discriminatoire à l’égard de la femme. Les deux arguments qu’ils ont utilisés au début du XXe siècle, lorsque les politiques dans le monde musulman voulaient moderniser le système juridique et l’organisation de l’État, pour garder la famille en dehors de cette modernisation afin que les hommes ne perdent pas les privilèges que le système traditionnel leur offrait.

Sur les réseaux sociaux, les conservateurs et les islamistes s’activent pour citer tous les versets coraniques infériorisant la femme par rapport à l’homme comme preuve que la domination de l’homme sur la femme est inscrite dans le Coran et doit pour cela être indiscutablement appliquée. Cet « argument du Coran » n’est pas valide. Cela ne veut pas dire que la domination masculine n’est pas inscrite dans le Coran, comme le prétendent les féministes islamiques, mais que cela n’est pas suffisant pour affirmer l’obligation de sa mise en pratique et qu’une autre façon de faire est impossible. La preuve en est que nombreux sont les versets coraniques qui ne sont pas pris en considération par les musulmans. Autrement dit, les musulmans ne mettent pas en pratique toutes les recommandations coraniques. Ils ne reconnaissent pas la liberté de conscience alors qu’au moins 28 versets coraniques nous permettent de déduire que le Coran la garantit. Ils ne reconnaissent pas la liberté individuelle alors que le verset 105 de la sourate 5, La Table Servie, appelle à son respect. Ils ne mangent jamais de porc alors que le Coran, verset 5 de la sourate 5, La Table Servie, le permet en cas de nécessité. Ils ne consomment pas de vin alors que des versets coraniques, tels que le verset 67, sourate 16, Les Abeilles, l’autorisent. Pour cela, ils ont décidé d’abroger les versets qui l’autorisent au profit de ceux qui l’interdisent.

Ainsi, les musulmans qui sont très exigeants avec la pratique des règles coraniques qui infériorisent les femmes par rapport aux hommes ne le sont pas quand il s’agit d’autres règles. C’est la preuve qu’ils utilisent l’argument du Coran, le livre sacré des musulmans, en fonction de leurs intérêts personnels et de leurs objectifs sociaux et politiques.

Un discours au sujet des femmes patriarcal et absurde

Pour les conservateurs, la famille doit rester, pour la préserver, incontestablement dans le domaine des traditions, c’est-à-dire de la religion. Pour convaincre du bien-fondé de leur position, ils affirment que reconnaître aux femmes le droit de choisir leur domicile au même titre que l’homme signifie qu’elles pourront décider quand elles veulent de ne pas habiter dans le même domicile ou de ne pas avoir le même lieu de résidence que leur époux, ce qui menacerait la famille. Cet argument est non seulement patriarcal, mais également absurde.

Patriarcal, car dans son souci de préserver la famille qu’il met en avant, il ne désigne que la femme, comme si le problème de la liberté qui peut être mal utilisée ne se posait que pour la femme alors qu’il peut concerner de la même manière l’homme. Autrement dit, l’homme lui aussi peut décider quand il veut de quitter le domicile familial et menacer la stabilité de la famille. Dans le discours religieux, la femme est toujours présentée comme une mineure incapable de bien se comporter et, de ce fait, elle ne doit pas être libre. En revanche, l’homme est présenté comme celui qui sait bien se comporter et mérite non seulement d’être libre, mais aussi de contrôler la femme. Or, la réalité de la société algérienne montre que c’est le contraire qui est vrai. Le comportement irresponsable envers la famille et les enfants est plus fréquent chez l’homme que chez la femme. D’une manière générale, le non-respect des normes sociales ainsi que la criminalité sont beaucoup plus importants chez les hommes que chez les femmes. Par ailleurs, les règles patriarcales ne préservent pas la famille, bien au contraire, comme le montre le nombre élevé de cas de divorce.

C’est un argument absurde, car les hommes et les femmes se marient pour vivre ensemble. Si dans un couple l’homme ou la femme décide, en dehors des raisons de travail, de ne pas avoir le même domicile ou lieu de résidence que son conjoint, c’est qu’il n’y a tout simplement plus de couple. Dans ce cas, l’obliger à rester par la force de la loi ne sert à rien. Il faut noter que le discours religieux ne parle de la femme que comme d’une épouse. Or, beaucoup de femmes en Algérie ne sont pas mariées et ont le droit de choisir leur lieu de domicile et de circuler librement dans leur pays tout autant que les hommes.

Razika Adnani

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