« Atteinte à l’islam », une loi aux mains des conservateurs

tribune publiée par Le Diplomate Média
Au Maroc, la militante féministe Ibtissame Lachgar, appelée « Betty », a été arrêtée et emprisonnée en attente de son procès pour cause une photo d’elle qu’elle a publiée sur les réseaux sociaux portant un tee-shirt sur lequel on lit « Allah (en arabe) is lesbian ». Elle est accusée de porter atteinte à l’islam et conformément à l’article 267-5 du Code pénal marocain, elle risque entre 2 à 5 ans de prison.
« Allah (en arabe) is lesbian » représente le Dieu des musulmans non seulement comme une femme, mais aussi une femme qui aime les femmes. Cela qui a fait réagir les conservateurs et les islamistes, ceux qui refusent la séparation entre la religion et la politique et veulent appliquer strictement la charia, et a provoqué l’arrestation de “Betty”. En effet, dans la religion musulmane, comme dans les deux autres religions monothéistes, Dieu est représenté comme un mâle et il est toujours associé au masculin. C’est un iIlah et non une illaha (déesse).
« Dieu is lesbian » remet donc en question la représentation masculine de Dieu. Un Dieu associé au masculin n’est pas une simple question de genre, cela détermine le mode de fonctionnement social et politique des sociétés. Présenter Dieu comme un homme donne une légitimité à la supériorité sociale, politique et juridique de l’homme sur la femme, et justifie les inégalités juridiques à l’égard des femmes dans les sociétés musulmanes, dont fait partie le Maroc, ce qui explique également la réaction des conservateurs à l’égard de « Betty ».
Il est assurément plus correct que Dieu ne soit représenté ni comme un homme ni comme une femme et il est plus conforme à sa nature de Dieu, l’être juste, qu’il aime les hommes et les femmes de la même manière. Cependant, la représentation féminine de Dieu est intéressante vu qu’elle pose une problématique philosophique, théologique et sociale importante qui pourrait provoquer des débats enrichissants. Qu’il y ait ceux qui ne l’aime pas, c’est leur droit. Cependant, c’est avec des arguments qu’ils doivent s’y opposer et non avec des arrestations et de la prison. Les sanctions contre des individus pour avoir exprimé leur avis étouffent la pensée et entravent l’évolution des sociétés. Elles permettent particulièrement aux erreurs de pérenniser et de se présenter comme des vérités absolues et c’est le plus gros problème de l’islam depuis la défaite de la pensée, au XIIe siècle environ, et la fin des débats théologiques et philosophiques dans le monde musulman.
Atteinte à l’islam, une loi aux mains des conservateurs
Dans les pays musulmans, des punitions sont prévues par la loi contre les personnes qui portent atteinte à l’islam, avec des expressions différentes d’un pays à un autre. L’« atteinte à l’islam » est une expression très vague qui dépend de la jurisprudence c’est-à-dire de l’appréciation du juge. Par ailleurs, les lois qui prévoient des sanctions pour atteinte à l’islam sont toujours utilisées par les conservateurs contre ceux qui les critiquent ou qui contredisent le discours religieux. Cela a été le cas d’Ahmad Khalafallah en 1947, d’Abou Zayd en 1995, de Nawel Sadaoui en 2001 et de beaucoup d’autres encore. Elles sont également utilisées contre ceux qui affichent leur apostasie. Cependant, elles n’ont jamais été utilisées contre les conservateurs ni les religieux, comme s’ils étaient immunisés contre une telle accusation dès lors qu’ils parlaient au nom de l’islam.
Pourtant, leur discours regorge de contradictions et d’erreurs dont certaines concernent le principe d’unicité lui-même qui atteste qu’il n’y a de Dieu que Dieu, unique dans ses attributs, qu’il ne partage avec aucune de ses créatures, tels que sa perfection, son savoir et son monde. Il est le plus important des trois principes fondateurs de l’islam sur lesquels il se construit en tant que religion de sorte que, si l’un d’eux vient à manquer, l’islam ne peut exister en tant que religion. L’unicité divine est celle en laquelle l’individu doit en premier lieu avoir la foi pour appartenir à l’islam.
Ainsi, selon le principe de l’unicité divine, l’appartenance de la personne à l’islam l’oblige à être constamment cohérente avec l’unicité de Dieu. Elle ne doit en aucun cas dire ou faire ce qui le contredit, bien au contraire, notamment quand il s’agit de l’islam.
D’ailleurs, le Coran rappelle aux musulmans l’importance du respect de l’unicité divine au risque de commettre le plus grand péché, celui du chirk, terme arabe qui signifie associer à Dieu une autre divinité ou une autre créature qui partagerait avec lui ses attributs. « […] Ne mettez pas Dieu en rivalité, alors que vous êtes informés », dit le verset 22 de la sourate 2, La Vache. « Dieu ne pardonne pas qu’on lui associe d’autres dieux, mais il pardonne tout autre péché à qui il veut, car celui qui donne un associé à Dieu commet un immense tort », met en garde le verset 48 de la sourate Les Femmes.
La quasi-majorité des musulmans ne respectent pas le principe de l’unicité divine
Or, la quasi-majorité des musulmans présentent leur savoir religieux, ou celui des religieux en qui ils ont confiance, comme étant la vérité parfaite et absolue. Ils refusent toute discussion ou critique son sujet et accusent toute personne qui le remet en question de porter atteinte à l’islam, ou carrément de mécréance, comme si les contredire eux, c’était contredire Dieu lui-même. Même s’ils répètent souvent l’expression « seul Dieu sait », ils se comportent comme ceux qui connaissent exactement le sens des textes coraniques, comme si leurs commentaires étaient équivalents aux versets coraniques et que leur parole et celle de Dieu étaient identiques.
Ils déclarent qu’ils appliquent la « charia de Dieu », éliminant ainsi toute distinction entre la charia inscrite dans leurs livres de Droit qui existe dans le monde des humains et celle qui existe dans le monde du divin. Ils se comportent comme s’ils partageaient avec Dieu son monde, sa volonté et son savoir, ce qui est sur le plan théologique une grande atteinte à l’islam. Le principe de l’unicité oblige l’être humain à rester humble devant Dieu et devant les autres. Ce n’est pas le cas des musulmans qui parlent au nom de l’islam, qui non seulement prétendent accéder au monde de Dieu, mais aussi punissent ceux qui refusent de se soumettre à leur règles, punition qui peut aller, quand ils ont le pouvoir, jusqu’à leur ôter la vie au nom de Dieu et de son prophète. Quand l’être humain croit détenir la vérité absolue et de surcroît la vérité divine, il perd son humilité devant Dieu et se comporte comme un tyran avec les autres.
Aujourd’hui, c’est la charia des livres de Droit, rédigés par des hommes, qui est devenue sacrée et qu’on qualifie de divine, davantage que celle inscrite dans le Coran. Or, elle contient beaucoup de règles qui n’existent pas dans le Coran et en revanche beaucoup de règles qui existent dans le Coran n’y sont pas mentionnées. L’obligation pour la femme de dissimuler la chevelure ou encore le visage et les mains est dans ce contexte un bon exemple étant donné qu’elle n’est citée dans aucun verset coranique. Pourtant, elle est celle sur laquelle tous les musulmans conservateurs et islamistes sont intransigeants. Cela signifie attribuer au Coran et de ce fait à Dieu ce qu’il ne dit pas. N’est-ce pas là une grave atteinte à l’islam ?
En revanche, la liberté de conscience n’existe pas dans la charia des livres de Droit ou la « charia pratique » et la très grande majorité des musulmans la considèrent comme contraire à l’islam. Les plus extrémistes exigent même l’exécution de l’apostat. Alors qu’au moins vingt-huit versets coraniques permettent de déduire que le Coran la garantit et qu’aucun ne dit que l’apostat doive être exécuté ou puni par la société. Les musulmans conservateurs refusent toute discussion au sujet de la liberté de croyance et les pays musulmans qui l’ont reconnue au XXe siècle ont fini par la supprimer de leur Constitution sous la pression des religieux.
Pour légitimer leur prétention de détenir la vérité divine absolue et d’avoir une connaissance parfaite du message coranique, les musulmans ont créé, dès les premiers siècles de l’islam, avec une grande ingéniosité, des théories telles que la théorie des salafs ( qui signifie prédécesseurs) et celle du naql ( qui signifie prendre le sens du texte coranique et le transférer tel quel dans le commentaire).
C’est ce qu’ils ont fait également avec le deuxième principe fondateur de l’islam, celui qui atteste que Mohamed est le prophète de Dieu et son dernier messager ( dont découle le troisième celui de la sacralité du Coran ). Comme pour le premier, un individu ne peut adhérer à l’islam sans témoigner sa foi en ce deuxième principe. Comme pour le premier, les religieux le contredisent non pas par erreur, mais volontairement. Ils ont mis en place des théories qui leur permettent de le contourner. Autrement dit, qui permettent à la révélation de se poursuivre après la mort du prophète, car ils avaient besoin pour des raisons de pouvoir notamment, qu’elle se poursuive.
Ainsi, ils ont affirmé que certains religieux recevaient directement la connaissance du divin et jouissaient de qualités morales et intellectuelles qui leur permettaient d’accéder à son savoir absolu. Ce sont les saints chez les soufis, les imams chez les chiites et les savants enracinés dans la science qui disposeraient d’aptitudes qui les autoriseraient à connaître la vérité coranique et divine.
En conclusion, s’il faut parler d’atteinte à l’islam, c’est du côté des religieux qu’il faut regarder en premier lieu. Leur responsabilité est plus grande, car leurs propos engagent tous les musulmans ainsi que l’islam. Cela ne veut pas dire les arrêter ni les emprisonner, mais leur rappeler qu’ils ne détiennent pas la vérité absolue. Par ailleurs, les musulmans n’ont pas respecté les principes fondateurs de l’islam parce qu’ils n’ont pas dissocié l’islam de la politique et ils en ont même fait un instrument de pouvoir. Les califes avaient besoin de dire aux musulmans que les lois qu’ils leurs imposaient étaient la charia divine de Dieu et ils ont demandé aux religieux de leur trouver de quoi le justifier. Voilà pourquoi il est indispensable que l’islam soit séparé de la politique pour qu’il retrouve sa nature en tant que religion.
Razika Adnani
Le 30 août 2025