Algérie : la société n’a pas besoin de davantage de conservatisme
Selon la presse algérienne, la direction de l’Éducation aux établissements d’Alger Est a adressé une circulaire dans laquelle elle précisait l’obligation des écoliers, des collégiens et des lycéens de se conformer à des règles vestimentaires strictes dès le 21 septembre 2025.
Dans de nombreux pays, l’État impose en effet des règles vestimentaires aux écoliers, déterminant la forme et les couleurs, et ce sont les mêmes pour tous les élèves et surtout elles sont connues d’avance par les parents. Quant à l’objectif, il consiste à pousser les élèves à se concentrer davantage sur leurs études, et non sur leurs vêtements, et à éviter les discriminations sociales entre les riches et les pauvres. C’est une manière d’apprendre aux élèves qu’ils sont tous égaux.
La décence, une valeur subjective
Ce n’est pas le cas de la circulaire de la direction de l’Éducation aux établissements d’Alger Est qui ne détermine pas, quand il s’agit notamment des filles, la tenue en question ni sa forme ni sa couleur. Si, pour les garçons, elle précise qu’ils ne doivent pas porter de shorts, ce qui revient à dire qu’ils ne doivent porter que des pantalons, pour les filles elle se contente de dire qu’elles doivent avoir une tenue décente. La circulaire ne donne aucune précision concernant les critères de cette tenue dite « décente » qui la distingueraient de celles qui seraient indécentes. Cela revient à dire que c’est aux directeurs d’établissement de décider de ce qui est décent et de ce qui est indécent. Sachant que les individus ne sont pas tous d’accord sur ces critères, les élèves et leurs parents subiront donc les jugements personnels des chefs d’établissement, qui peuvent varier d’une école à une autre. Autrement dit, les élèves d’Alger Est ne seront pas tous soumis aux mêmes règles vestimentaires, ni aux mêmes règles que dans les autres régions d’Algérie, ce qui éloignera davantage l’école de l’égalité qui est un des objectifs du fait d’imposer la même tenue vestimentaire pour tous les élèves.
Par ailleurs, vu que le domaine de l’éducation en Algérie est celui qui est le plus dominé par le conservatisme religieux, la direction de l’Éducation aux établissements d’Alger Est va donc livrer les élèves, et notamment les filles, aux exigences vestimentaires de chefs d’établissement et d’enseignants conservateurs et à leur excès de zèle religieux. Parce que pour eux la tenue décente pour les filles est le port du voile, ils pourront exercer sur elles, à leur aise, une pression pour qu’elles se voilent alors que l’Algérie doit protéger les nouvelles générations du discours religieux intégriste et fondamentaliste.
L’autre problème que pose la circulaire concerne les objectifs visés vu qu’elle précise que la finalité des règles vestimentaires qu’elle impose consistent à préserver les traditions et les valeurs de la société « conservatrice ». Autrement dit, pour elle l’intérêt n’est pas la performance scolaire des élèves, mais la préservation du conservatisme de la société alors que la société algérienne souffre déjà d’une overdose de conservatisme.
Le conservatisme n’est pas un critère de moralité
Le conservatisme est l’attitude d’un individu, ou d’un groupe d’individus, qui demeure attaché aux traditions qui sont les habitudes et les normes morales et sociales héritées des générations précédentes. Non seulement il refuse de les changer, mais il les juge également comme morales. Or, les traditions ne sont pas toutes bonnes étant donné qu’aucune société humaine n’a atteint la perfection et que ce qui était bon pour les générations précédentes ne l’est pas forcément pour les générations suivantes. Beaucoup sont même très négatives aujourd’hui tout comme hier. C’est le cas de l’infériorisation des femmes qui fait partie des traditions de toutes les sociétés musulmanes conservatrices. L’infériorisation de la femme est immorale, injuste et indigne des sociétés d’aujourd’hui. Le conservatisme n’est pas une valeur morale ni un critère de moralité.
Le conservatisme risque d’être même un obstacle au développement. Le hayek, qui est le voile blanc porté jadis par les femmes au Maghreb est un bon exemple. Il fait partie des traditions de la société algérienne alors qu’il était un des facteurs de pauvreté des femmes étant donné qu’il ne leur permettait pas de travailler. Une femme qui porte la hayek ne peut pas utiliser librement ses mains, premiers outils dont la nature a doté l’être humain pour qu’il puisse subsister dans son environnement. Parce que les femmes constituent la moitié de la population, le hayek était également un facteur de pauvreté pour la société qu’il privait de la moitié de sa force de travail. Averroès avait d’ailleurs soulevé ce problème des société musulmanes qui ne permettaient pas aux femmes de participer à la vie économique. Rappelons qu’il n’y a pas longtemps, en Algérie, les filles n’allaient pas à l’école et cela faisait partie des traditions de la société. Elles n’ont obtenu le droit d’aller à l’école et les femmes celui de travailler que lorsque des intellectuels, dans tout le monde musulman, ont dénoncé les traditions archaïques des sociétés musulmanes et le conservatisme qui les empêchaient d’évoluer, les confinaient dans le sous-développement et les rendaient vulnérables devant les appétits des pays étrangers.
Les Algériens n’ont pas besoin de davantage de conservatisme
Une société est constituée de plusieurs générations et les traditions sont les habitudes des générations passées dont les plus vieux sont plus proches que les plus jeunes. Une société qui fait du conservatisme une valeur suprême fonctionne selon les normes et la morale des plus vieux. Les jeunes se retrouvent dans l’obligation soit de vivre comme les vieux soit de la quitter pour pouvoir vivre selon leur jeunesse.
C’est le cas de l’Algérie où les jeunes, filles et garçons, ne rêvent que de partir en Occident où ils peuvent être libres. Certes tout ce qui est récent et jeune n’est pas forcément bien mais tout ce qui vient du passé ne doit pas non plus être sublimé. Cependant, la question de l’avenir d’un pays qui ne donne pas d’autre choix à ses jeunes pour être libres que de la quitter se pose fortement. Elle se pose particulièrement à notre époque où les sociétés sont menacées par le vieillissement de la population et où les pays riches, pour garantir leur survie, attirent les jeunes des autres pays.
L’Algérie doit mettre en place une politique qui lui permette de garder ses jeunes chez elles. Elle doit leur garantir un climat qui prend en considérations les besoins des jeunes en matière de loisir et de liberté. Elle doit en revanche leur apprendre le respect de la liberté individuelle, la valeur de l’égalité et de la justice sociale et la sacralité de la dignité humaine. Ce sont des valeurs qui manquent beaucoup en Algérie, car justement elles ne font pas partie des traditions des sociétés musulmanes fondées sur les principes de l’obéissance et de l’inégalité, notamment entre les femmes et les hommes. Elle doit inculquer aux jeunes le sens de la citoyenneté et de la responsabilité de leurs actes, le respect de l’environnement et pourquoi il ne faut jamais le dégrader, le rejet de la violence et pourquoi il ne faut jamais la justifier ni la moraliser, le devoir de respecter l’autre et de ne jamais s’en prendre à lui. Cela doit être le premier rôle de l’Éducation nationale.
Razika Adnani