“Pourquoi distribuer le Coran au personnel soignant ?”



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Publié par le journal algérien Liberté

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Le monde affronte un coronavirus virulent avec une crise sanitaire sans précédent. En Algérie, le nombre de contaminations augmente, les hôpitaux manquent de moyens et de matériels et les décès dans le corps médical sont effrayants. Dans cette situation alarmante, la police algérienne en rendant visite à un hôpital trouve une idée « étonnante » pour encourager le personnel médical : elle lui offre des exemplaires du Coran. 

La cérémonie présente l’État s’occupant de la spiritualité des citoyens et de leur relation avec le divin étant donné que la police est une institution de l’État. Or, le rôle de l’État est de bien gérer les affaires de la cité. Certes, en Algérie la politique n’a jamais été séparée de la religion. Cependant, une telle imbrication du politique et du religieux exprime une dérive dans la fonction de l’État et une régression dans la conception moderne de l’État. Il ne s’agit pas du seul point qui interroge dans cette cérémonie, car le Coran est le livre sacré des musulmans. Si quelqu’un veut l’offrir à quelqu’un d’autre, il doit prendre beaucoup de précautions. Il faut s’assurer qu’il est de confession musulmane ou au moins envisage de l’être ou encore qu’il est un chercheur dans le domaine de l’islam. Dans les trois cas, il faut qu’il y ait une relation proche entre celui qui offre et celui qui reçoit le cadeau pour connaître ces détails sur sa vie. Ce n’est pas le cas de la police qui vient sur le lieu de travail pour vous offrir le Coran.

Razika Adnani "Pourquoi distribuer le Coran au personnel soignant ?"

Ceux qui sont derrière cette décision ont cependant agi comme si tout Algérien était musulman. Autrement dit, ils ne reconnaissent pas à un Algérien ou une Algérienne le droit de ne pas être musulman, d’avoir une autre religion ou de ne pas en avoir du tout. Considérer que tout Algérien est musulman relève de l’absence de respect de la liberté de conscience. Les Algériens qui ont réagi à la scène et l’ont qualifiée de ridicule se sont justifiés par le fait que tous les médecins seraient de confession musulmane. Ils n’avaient pas besoin de Coran, explique le journaliste Abdou Semmar, car toutes les familles algériennes disposent dans leurs maisons de plusieurs exemplaires du Coran. Ainsi, eux aussi considèrent que les Algériens sont tous des musulmans.  

Cette uniformité religieuse n’est pas conforme à la réalité. En Algérie, il y a des chrétiens, des juifs, des agnostiques et des athées. Ne peut prétendre le contraire que celui qui ignore la société algérienne. La représentation que la majorité des Algériens se font de leur société, où tous les Algériens sont musulmans, montre la difficulté à faire le passage de l’étape de la société tribale qui est de caractère clos vers une société ouverte qui accepte la diversité. Offrir un objet sacré à une personne sans prendre en compte ses propres croyances, c’est piétiner sa liberté de conscience, c’est lui faire violence notamment quand elle est dans une situation qui ne lui permet pas de décliner le cadeau. Avant d’offrir un objet sacré, il est indispensable de s’assurer, par respect pour la personne, de ne pas heurter ses convictions personnelles. 

Habituellement, lorsqu’on s’apprête à offrir un cadeau à une personne, d’anniversaire par exemple, on se pose beaucoup de questions sur ses goûts. On ne veut pas lui offrir ce qui ne lui plaît pas, surtout afin que son cadeau ne se retrouve pas dans le fond d’un placard ou dans la poubelle dès que l’on quitte les lieux. Lorsqu’il s’agit d’un livre sacré, la situation doit exiger davantage de précautions. Le Coran est le livre sacré des musulmans. Quand un musulman s’apprête à l’offrir, le respect qu’il lui doit l’oblige de s’assurer qu’il sera traité comme tel par la personne qui le reçoit. 

Cependant, l’excès de zèle, phénomène très répandu dans notre société dès lors qu’il s’agit de la religion, fait que l’on ne s’inquiète pas du sort du Coran quand on veut l’offrir ni du risque que la personne qui le reçoit ne le considère pas comme tel. On ne s’interroge pas sur le comportement qu’elle pourrait avoir à son égard si elle vivait très mal le fait qu’on piétine sa liberté de conscience. Il faut montrer qu’on est de bons musulmans et tant pis si la personne arrivée à la maison jette le livre par terre et le piétine de rage ou le déchire ou encore le brûle. Posséder le Coran doit être acte de volonté et de désir personnel. Il est important de le rappeler, car cette habitude d’offrir le Coran commence à prendre de l’ampleur de notre pays. 

Le paradoxe le plus apparent dans cette affaire est le fait que le Coran est distribué au sein d’un hôpital à une équipe médicale qui le reçoit dans une prosternation presque parfaite.  Alors que l’hôpital est le domaine de la médecine et donc de la science et de la raison. Pour fonctionner, l’hôpital a besoin de matériel technique et chimique et de savoir scientifique. La médecine soigne les maladies en s’attaquant à leurs causes et non en faisant la prière. 

Quand la religion intervient au sein de l’hôpital, c’est un signe que la médecine a tout fait et qu’il n’y a rien d’autre à faire que prier. Ce n’est assurément pas le message que l’État a voulu donner en offrant le Coran au personnel médical. Deux éléments sont à souligner si la religion intervient au sein de l’hôpital. Le premier, ce n’est pas pour soigner mais pour consoler et pour donner de la force aux malades pour surmonter les moments difficiles de la vie. Le second, ce n’est pas le médecin qui devient le prêtre ou l’imam, mais il peut permettre à celui-ci d’être au chevet du malade qui le demande pour l’accompagner dans ses derniers moments. 

Cette cérémonie de distribution du Coran à une équipe médicale et au sein de l’hôpital montre le degré d’introduction de la religion dans tous les domaines de la société et à quel point le discours religieux l’emporte sur le discours scientifique et rationnel. Cela s’explique par l’influence du mysticisme antirationaliste, notamment celui d’al Ghazali (1058-1111) pour qui le médicament n’est pas la cause de la guérison, car Dieu peut guérir la maladie sans médicament comme il peut ne pas la guérir malgré la prise du médicament, qui est encore très présent dans la conscience algérienne. Le triomphe du traditionalisme dans le monde musulman et les tartuffes qui sont de plus en plus nombreux sont d’autres éléments explicatifs. Pour beaucoup d’Algériens la religion est devenue non plus une spiritualité que la personne vit dans une relation individuelle discrète et sincère avec le divin, mais un moyen qu’ils utilisent pour obtenir le pouvoir sociale et politique. 

Il n’y a pas d’autre solution. Il faut séparer l’islam de l’État. Il faut cesser de l’utiliser comme moyen pour faire de la politique

Razika Adnani


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4 Commentaire(s)

  1. Aziri dit :

    Je ne vois pas l’intérêt de distribuer des livres du coran pour le personnel soignant ?il y a lieu de savoir que ce même personnel est musulman et peut être chacun d’eux possède plus d’un livre de coran

  2. agacher dit :

    une gifle à la science !! quand quelqu’un agonise ; il ne souhaite ni coran ,ni amar bouzouar ! il supplierait même le diable s’il pouvait le guérir !!

  3. Mohand Laid MEHENNI dit :

    Maitre Razika ADNANI.Offrir des livres de coran à un corps médical et pleine épédemie qui ne pardonne nulleme , c’est de detourner l’ésprit scientifique au profit du religieu.La meilleure réligion c’est de sauver des vies. Au lieu de laisser sauver des vies on leur donne de quoi préparer leurs tombes.Maitre ceux qui on donné comme ceux qui ont reçu ,c’est tromper les peuples.Le corps médical qui souffre d’une mission trop chargée et dangeureuse l’etat aurait pu chercher les moyens de les faire remplacer ,reposer .C’est un comme l(histoire de la guerre de l’Irak où ces fanatiques répandent une nouvelle.Pour constater que l’Irak gagnera la guerre ,ouvrez le coron à telle page vous trouverez un brin de cheveu

  4. Vanessa dit :

    Que rajouter de plus… juste un grand bravo à Razika Adnani qui (enfin) brise un tabou trop ancré dans une société infantilisée, hors sol. Et dire qu’ailleurs on tente d’approcher d’autres planètes, apprendre de l’univers…

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