L’Émir et ” Le livre d’ Abdelkader “



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Extrait de l’ouvrage de Razika Adnani La nécessaire réconciliation

Du dénigrement de soi

L’Émir Abdelkader, dans son ouvrage Le livre d’Abdelkader, au chapitre II de la deuxième partie intitulée « des divers peuples”, désigne par titre les peuples qu’il estime devoir être cités : les Indiens, les Perses, les Grecs, les Romains, les Francs, les Arabes, les Hébreux, les Égyptiens. La liste est terminée. L’Émir, vivant sur un territoire berbère dont nous avons déjà mentionnée l’étendue, appartenant au peuple berbère, ne mentionne pas son propre peuple. Comment expliquer cela ? Avoir la preuve indiscutable de ses racines arabes et de ses liens ancestraux avec le Prophète, comme c’était l’usage au Maghreb, sont-ils une raison suffisante pour nier l’existence du peuple berbère ?

Cependant, au chapitre II, consacré au peuple « franc », l’Émir nous rapporte la preuve qu’il n’ignorait pas totalement l’existence des Berbères. Nous le déduisons à travers ce passage où il écrit : « lorsque les Arabes envahirent l’Ifrikiya et tuèrent le roi Djirdjir, les Berbères passèrent aux Francs et s’unirent à eux pour combattre les Arabes. La guerre ne cessa entre eux et avec des chances diverses, qu’en l’année 84 de l’Hégire. Quand les Berbères et les Francs furent mis en fuite, alors cessa leur alliance. Ceux des Francs qui se trouvaient près de la mer s’embarquèrent pour l’Espagne, la Sicile et la Sardaigne dont tous les habitants sont composés des Francs qui étaient en Ifrikiya. Ceux qui étaient éloignés de la mer se mêlèrent aux Berbères et s’incorporèrent à leur nation. Dans les montagnes de l’Aurès, il y avait beaucoup de Francs ».

L’Émir utilise cette expression « leur nation » comme pour bien marquer la séparation entre « la nation berbère » et « la nation arabe » et éloigner la possibilité d’un quelconque mélange entre ces deux peuples. Idée que les historiens avaient pris soin de propager en insistant sur le fait que ces Arabes étaient venus avec femmes et enfants, éliminant ainsi l’éventualité d’un mélange entre les deux communautés. L’Émir s’appuie aussi sur l’idée reçue que les Berbères auraient fui en abandonnant leurs terres aux Arabes. Cette vision historique est démentie par la logique et la réalité des faits.

L’arabisation des Berbères et l’assimilation des Arabes et de bien d’autres peuples à la communauté berbère ne permettent pas de parler d’une Algérie formée de deux populations, l’une arabe et l’autre berbère. Il n’y a pas deux nations, il n’y en a qu’une, la nation algérienne. Il n’y a pas deux peuples, il n’y en a qu’un, le peuple algérien et peu importe la langue qu’il parle et peu importe ses origines. Faire subir une dichotomie à la réalité humaine du Maghreb[1], définissant des espaces algéro-arabes et d’autres algéro-berbères, est tout simplement inexact.

Cette approche critique ne remet en question ni l’envergure ni le charisme de la personnalité de l’émir. Elle montre tout simplement sa dimension humaine. Certes, la nature exceptionnelle d’une personne se mesure à sa capacité à échapper aux conditions culturelles et sociologiques dans lesquelles elle vit. Elle ne peut cependant s’en s’exclure totalement ; c’est la preuve que l’être humain, quelles que soient ses qualités, appartient à son époque et à son milieu[…]

« Cette honte d’avoir combattu les Arabes porteurs de la nouvelle religion, ce qui apparaît dans la manière dont l’Émir Abdelkader parle des Berbères, alliés des Francs dans leur combat face aux Arabes. Est-ce la raison pour laquelle l’ Émir a estimé qu’ils ne méritaient pas d’être cités ? “

[1] Ibn Khaldûn, L’Histoire des Berbères, trad. William Mac-Guckin de Slane, BERTI édition, 2003, p. 149.

[2] Gabriel Camps, Les Berbères, mémoires et identités, Alger, Barzakh, 2011, p. 193.


La lettre de L’ÉmIr Abdelkader adressée à Gustave Dugat dans laquelle il donne son autorisation pour la traduction de son livre
  • Parmi les Berbères qui ont marqué l’histoire, il y a l’historien Florus, l’orateur et écrivain Fronton, le philosophe et médecin Apulée, l’évêque Optât, le philosophe et homme d’Église Saint-Augustin, Sainte Monique, Juba II, roi philosophe auteur de plusieurs livres écrits en grec, la reine Kahina, le grand sociologue Ibn Khaldûn, le voyageur Ibn Batouta, la reine Fatma Tazouguerth.

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La nécessaire réconciliation

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