Razika Adnani – La révolution algérienne de la joie et des questions



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Alors qu’une nouvelle grande journée de manifestation démarre ce vendredi 22 mars en Algérie, la philosophe Razika Adnani analyse la révolution joyeuse et non-violente en cours. Marianne

Les révolutions se font souvent dans le sang et les larmes. Des philosophes ont même soutenu l’idée que la violence est une nécessité pour les opprimés qui veulent se libérer et que la non-violence n’est qu’un rêve auquel l’humanité s’accroche pour se consoler. Les gilets jaunes encore ce samedi sont la preuve que beaucoup sont encore convaincus que la violence est le seul moyen de faire entendre sa voix et de faire valoir son droit.

Le caractère pacifique de ces revendications a empêché le pouvoir de recourir à son arme redoutable, “la violence légitime” de l’État. 

Les Algériens veulent prouver le contraire. Depuis plusieurs jours, leur pays vit au rythme de manifestations dont la particularité est de vouloir être non-violentes. C’est avec ce désir de mener une révolution non-violente que des hommes et des femmes ont manifesté partout dans le pays. Ils avaient le même mot d’ordre : leur révolution doit être une “révolution de paix”. Partout ils scandaient “Silmia, silmia”, qui signifie pacifique, pacifique. Après de longues années d’absence de la scène politique internationale, l’Algérie attire les regards du monde entier.

Un phénomène algérien

Les Algériens mènent une révolution de non-violence. Ils veulent bannir l’idée de la violence révolutionnaire. Meilleur encore, ils veulent que leur révolution soit également joyeuse.Ils manifestent en chantant et en dansant ; inédit pour un mouvement de révolte populaire. Depuis quelques années, je dis : “un jour, ce peuple va nous surprendre”, voilà que c’est fait. Un “phénomène algérien” est né. Quelle explication pouvons-nous avancer pour le comprendre ?

Assurément les années de braise et les expériences malheureuses de certains pays qui ont sombré dans la terreur ont fait que les Algériens ont décidé de mener un changement pacifique. Le pouvoir n’ayant pas cessé de rappeler ces souvenirs douloureux a indirectement contribué à cette volonté de mener une révolution non-violente. Le peuple a fini par se dire : “d’accord si c’est cela le problème, on fera une révolution pacifique, on ne touchera pas à une seule pierre, on ne cassera aucune vitrine et on n’insultera aucun policier”. C’est ce qu’ils ont fait et c’est ce qui a donné à ce soulèvement toute sa splendeur et sa grandeur. Le moyen que le pouvoir a utilisé pour tenir le peuple s’est finalement retourné contre lui ; le caractère pacifique de ces revendications a empêché le pouvoir de recourir à son arme redoutable, “la violence légitime” de l’État.

Le peuple a mesuré sa force, par son nombre et sa détermination, et a surtout réalisé la valeur et l’impact du caractère pacifique de ses revendications notamment lorsque le pouvoir a reconnu que le système devait changer. Cette expérience politique sur le terrain l’a conforté dans l’idée qu’il n’aurait pas besoin de recourir à la violence pour faire entendre sa voix et changer son destin ; il a continué à réclamer ses droits légitimes avec la même force tranquille, avec le même civisme.

Quant au caractère festif de ce mouvement citoyen algérien, il y a certainement quelque chose qui est lié au tempérament des Algériens qui aiment s’amuser, se laisser aller à la joie que des contraintes sociales très lourdes les ont forcés à refouler, notamment ces dernières années avec la montée de l’islamisme et sa main mise sur la société.

Le peuple algérien est tellement beau par son civisme et sa maturité politique qu’il a rendu l’Algérie merveilleusement belle, voilà ce qui lui procure de la fierté. Il ne s’agit donc pas seulement d’une joie d’exprimer enfin son désir de se libérer du pouvoir en place depuis l’indépendance, mais aussi de se libérer de la peur de l’islamisme, de son regard, de ses règles.

Les plus grandes mobilisations se font les vendredis. Alors que la prière ne dure qu’une petite partie de la journée, ce jour de la semaine était jusque-là un jour triste, inactif, mort où même les activités culturelles n’étaient pas permises ; les Algériens sont heureux de récupérer le vendredi et de le se l’approprier pour le dédier à la prière pour ceux qui veulent, mais aussi à la vie, à la joie.

À chaque mobilisation, les Algériens expriment, à travers les milliers de photos partagées, une grande fierté montrant un peuple qui n’a pas seulement besoin d’être heureux, mais également d’être fier. Autant ces manifestations sont pacifiques et belles, autant les Algériens sont fiers. Une fierté qui leur donne la volonté de fournir plus d’efforts pour leur mouvement, pour leur pays.

En effet, pendant toute son histoire, pour diverses raisons, ce peuple a été empêché d’être fier. On lui a dit que sa langue n’était pas belle, que ses origines n’étaient pas nobles, que son histoire était insignifiante. On lui a dit qu’il fallait s’exprimer dans une autre langue, s’inventer d’autres origines et oublier son histoire. Aujourd’hui, il y a une forme de revanche sur l’histoire. Le peuple algérien est tellement beau par son civisme et sa maturité politique qu’il a rendu l’Algérie merveilleusement belle, voilà ce qui lui procure de la fierté.

Si les Algériens arrivent à réaliser l’objectif de leur mouvement : construire une deuxième république démocratique et un réel État de droit, ils auront réussi à consolider le principe de la non-violence comme moyen de revendication et de libération. S’ils arrivent à se délivrer du poids islamiste qui pèse sur les esprits, ils changeront non seulement leur vie, mais également celle d’un grand nombre de peuples. Seuls les jeunes femmes et les jeunes hommes peuvent réaliser cet exploit. Il faut leur faire confiance. Ils sont capables de tirer l’Algérie vers le haut.

Razika Adnani

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