Défaite de la pensée et blocage de la raison



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La défaite de la pensée, à la fin du XIIe siècle, a été une victoire pour toutes les doctrines qui avaient opté pour une position épistémologique considérant la connaissance comme révélée et transmise, non construite. Cette victoire a été tout particulièrement celle du littéralisme. Il la partagea avec le soufisme qui considérait que la vérité n’était pas accessible par les moyens intellectuels, mais par le dévoilement spirituel réservé à certaines personnes privilégiées.

Le littéralisme (naql) a été adopté par les écoles, théologiques ou juridiques, qui n’autorisaient pas la pensée à s’introduire dans le travail interprétatif : l’acharisme, le chafiisme, le malikisme, le hanbalisme. Leur méfiance vis-à-vis de la pensée avait un objectif : préserver la religion et la société des idées nouvelles, non inscrites dans les textes, qu’ils considéraient néfastes et susceptibles de conduire les musulmans vers la sortie de la religion. Si elles reconnaissaient parfois un rôle à la réflexion et à l’intelligence humaine, elles insistaient pour que leur objectif se limite à régler certaines questions théologiques ou juridiques lorsque la révélation n’était plus en mesure de trancher à leur sujet.

Quant à la raison, on rappelait constamment que son rôle était de prouver le bien-fondé des règles sociales et morales révélées et d’expliquer pourquoi elles étaient nécessaires. À partir du XIIe siècle, le consensus assumé par la pensée musulmane s’est prononcé en faveur de la révélation et non de la réflexion et du raisonnement.

Le souci de préserver la vérité révélée s’est ainsi fait sentir très tôt dans l’histoire de l’islam. Nous avons vu que le premier à l’avoir exprimé ouvertement, à travers son école juridique, était Malek Ibn Anas. Il a réagi contre l’école de l’opinion d’Abou Hanifa dans laquelle la pensée était reconnue comme active. Bien que Malek n’ait pas totalement rejeté la pensée, lui accordant un espace pour s’exprimer, il considérait que les musulmans ne pouvaient y recourir que lorsque toutes les autres pistes examinées s’étaient révélées infructueuses. Sa position a beaucoup influencé les juristes et les docteurs qui lui ont succédé comme al-Chafii, Ibn Hanbal ou encore Mohamed Ibn Abdelwahhab qui se placent sur la même ligne épistémologique ; ce qui explique pourquoi le wahhabisme a été si facilement adopté par autant de musulmans. Il n’est en réalité que la version radicale du hanbalisme, qui n’est lui-même que du malikisme dans une version plus exigeante.

Au XXe siècle, lorsque le wahhabisme a commencé sa campagne de réislamisation des sociétés musulmanes, son langage n’était pas étranger aux musulmans qui étaient largement malikites, chafiites ou hanbalites. La différence entre le malikisme avant l’expansion wahhabite et après réside dans le fait que, pendant de longs siècles, il avait fait bon ménage avec le soufisme comme c’était le cas au Maghreb. C’était un malikisme à tendance soufie (ou un soufisme à tendance malikite) : à un scrupuleux respect des lois juridiques s’associait un comportement pleinement empreint de la culture et de la spiritualité soufies. En revanche, le wahhabisme fait du soufisme un ennemi à combattre.

Razika Adnani, Islam : quel problème ? Les défis de la réforme, UPblisher, France, décembre 2017. AfriqueOrient, Maroc, mars 2018.

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1 Commentaire(s)

  1. Karim Bouda dit :

    Bonjour Madame Adnani.
    Je trouve votre article très clair. Il reprend des thèses de Monsieur Arkoun ; et les illustre avec beaucoup de finesse et d’acuité, en lien avec l’histoire moderne et contemporaine.
    Merci à nouveau pour votre travail rigoureux et éclairant ainsi que pour votre courage intellectuel.
    Très cordialement.
    Karim Bouda.

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