Commission d’enquête sénatoriale sur la radicalisation islamiste : audition de Razika Adnani



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Compte rendu

Madame la Présidente, Madame le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de me recevoir et de me donner l’occasion de m’exprimer sur ce thème très sensible qu’est l’islamisme. 

J’utilise le terme « islamisme » au lieu de « radicalisation islamiste » car, à mon sens, il est plus adapté, étant donné qu’il est plus général et plus précis que le terme « radicalisme ». Le radicalisme islamiste est une des facettes de l’islamisme : tout islamiste n’est pas forcément dans une attitude radicale, en apparence au moins. Les femmes qui veulent imposer le burkini dans les piscines ou le voile lors des sorties scolaires ne présentent pas des signes d’extrémisme, donc de radicalisme, dans leur application des règles de l’islam, sinon elles ne seraient pas sorties de la maison, selon le verset 33 de la sourate Les coalisés, elles ne parleraient aux gens que derrière un rideau (donc un niqab), comme l’affirme le verset 53 de la même sourate, deux règles que les juristes de l’islam stipulent. Elles ne sont pas non plus dans le rejet catégorique de l’autre comme c’est connu chez les extrémistes islamistes, mais elles n’en sont pas pour autant moins islamistes étant donné qu’elles militent pour l’expansion de l’islam et l’instauration de la charia.

Quant au terme « islamisme », il est utilisé à partir des années 70 du siècle dernier, pour désigner l’islam politique.

Si l’islamisme est l’islam politique, celui-ci n’est pas apparu comme beaucoup le pensent avec la naissance de la confrérie des Frères musulmans en 1928.

Si l’islamisme est l’islam politique, celui-ci n’est pas apparu comme beaucoup le pensent avec la naissance de la confrérie des Frères musulmans en 1928. L’islamisme est né en 622 lorsque le prophète a émigré de la Mecque vers Médine. À La Mecque, Mohamed, le prophète de l’islam, prêchait un message quasi spirituel. À Médine, il a construit la première société musulmane, les versets coraniques ont pris, en plus du caractère spirituel, un caractère politique et social et le prophète lui-même est devenu un homme d’État et un chef des armées. L’histoire de l’islam est également une preuve de cette imbrication du spirituel et du politique dans la religion musulmane : les conquêtes de l’islam étaient des conquêtes politiques avec l’objectif de soumettre les autochtones des terres conquises au pouvoir des Arabes. Ces derniers imposaient la langue arabe en lui revendiquant une suprématie sur les autres langues ainsi que la supériorité des musulmans arabes sur les autres musulmans, ce que réclament encore aujourd’hui beaucoup de musulmans arabes ou qui pensent l’être.

Si l’islamisme signifie l’islam politique, à l’exception de la période de la Mecque, l’islam est un islamisme.

Ainsi, si l’islamisme signifie l’islam politique, à l’exception de la période de la Mecque, l’islam est un islamisme. Cela ne signifie pas que tous les musulmans ou ceux qu’on appelle comme tels font de la politique en utilisant l’islam. Certains ont quitté l’islam, d’autres ne sont pas pratiquants et d’autres encore ne vont pas au-delà de l’observation du jeûne et de la célébration des deux fêtes de l’Aïd.

Quand on parle de l’islam, il est important de préciser que ce n’est pas uniquement des textes, mais aussi une théologie, c’est-à-dire des théories et des concepts qui déterminent la méthode de l’interprétation des textes, la relation que les musulmans entretiennent avec les textes et leur comportement social ainsi que leur rapport à l’autre, autrement dit leur manière d’être musulmans et d’êtres humains. 

Parmi les théories les plus importantes, on trouve :

1° Le salafisme ou la théorie des salafs, mot arabe qui signifie les prédécesseurs. Il atteste que seuls les salafs ont pu atteindre la vérité du message divin. Ainsi, toutes les autres générations de musulmans, si elles veulent accéder à cette vérité, doivent se tourner vers leur savoir.

2° Le littéralisme ou la théorie du naql, terme arabe signifiant prendre et transférer. Selon cette théorie qui considère que le commentateur n’a fait que prendre le sens du texte coranique tel qu’il se présente, ce que les musulmans connaissent sur le sens des textes reflète exactement le sens du texte coranique 

3° Celle du Coran incréé. Elle est d’ordre théologique. Elle place le Coran en dehors du temps et affirme par conséquent que ses recommandations sont intemporelles, donc valables en tout temps et en tout lieu.

Ces théories sont consolidées par des concepts. Les plus connus sont ceux affirmant que « toute novation est un égarement » et que « la religion est une question de coeur et non de raison » ; le premier empêche toute créativité et le second interdit la réflexion.

Ces théories et ces concepts ont été mis en place vers le IXe siècle, même si leurs prémices remontent au VIIe siècle et notamment dans la doctrine malékite née à Médine en Arabie.

Elles ont marqué l’histoire de l’islam et le comportement des musulmans, même ceux qui ne les connaissent pas, et beaucoup aujourd’hui encore y croient fortement. Si je les mentionne c’est parce que leur connaissance permet de comprendre pourquoi la majorité des musulmans sont convaincus que les règles de la charia doivent être appliquées alors qu’elles remontent au VIIe siècle, pourquoi ils croient que ces règles qu’ils ont extraites des textes sont exactement celles que Dieu veut, et pourquoi ils pensent qu’il ne faut rien changer et suivre toujours les anciens.

Dans mon analyse de la théologie musulmane, j’ai déduit qu’elle était fondée sur deux questions principales. La première est celle de la place qu’il faut reconnaître à la pensée humaine comme source de savoir à côté de la révélation. Les théories et les concepts que je viens de citer ont tous comme objectif de bloquer la pensée. Ce qui montre que les musulmans ont finalement opté pour la révélation comme seule source de savoir dans le domaine de la religion. La seconde question principale est celle de la définition de l’islam : est- il une spiritualité ou une spiritualité et une organisation sociale ? Elle a été posée très tôt en islam et les musulmans ont tranché vers le XIIe siècle : l’islam ne peut se réaliser sans sa dimension sociale et politique. Ce point est important à souligner étant donné que c’est celui contre lequel se heurte la laïcité française et toute séparation de la politique et de la religion dans les sociétés musulmanes.

Concernant l’islamisme, s’il est né en 622, l’islamisme contemporain, lui, est né en 1928 comme réaction à une situation sociale et politique que le monde musulman et le monde arabe a connu entre la fin du XVIIIe et la fin de la première moitié du XXe siècle qu’on appelle la nahda, qui signifie renaissance ou réveil. Il s’agit d’un grand projet de réforme qui est suscité par le contact des musulmans avec l’Occident et la prise de conscience de leur retard. Grâce à la nahda, les musulmans ont connu l’abolition du califat, le dévoilement des femmes, l’abolition de la polygamie en Tunisie et l’adoption de nouveaux concepts, telle la démocratie, la République, la constitution et la laïcité qui a été bien appliquée en Turquie. Toutes ces réformes, qui visaient à permettre aux sociétés musulmanes d’entrer dans l’ère de la modernité, ont été vues par les conservateurs et les docteurs de la religion comme des malheurs qui se sont abattus sur les musulmans et l’islam.

Quant au coupable, c’était évidemment l’Occident, sa culture et sa civilisation. À partir de là, l’Occident est désigné par le discours religieux comme l’ennemi de l’islam et des musulmans. La Confrérie des Frères musulmans a été créée en 1928. Pour ses fondateurs, il fallait réislamiser les musulmans et réparer ce qui avait été abîmé en islam. Ils avaient donc lancé une contre-réforme qui était tournée vers le passé. Les Frères musulmans se sont distingués par le fait qu’ils considéraient que la prédication, qui est un devoir pour tout musulman selon la charia, ne suffisait pas et qu’il fallait une action politique visant à prendre le pouvoir, ce qui pour eux était le meilleur garant pour se débarrasser des régimes politiques corrompus et instaurer un État islamique régi par la charia, non seulement dans les pays musulmans, mais partout où cela était possible.

Dans la lutte des Frères Musulmans, l’Occident est présenté comme un danger pour les valeurs morales et sociales de l’islam. Tout au long du XXe siècle, ils n’ont cessé de rappeler la nécessité de ne pas se laisser influencer par sa culture. Ils ont sans cesse réaffirmé le devoir du djihad et de la prédication pour le triomphe du message de l’islam comme finalité de l’existence. Ils ont inlassablement répété aux musulmans que l’islam était religion et État, foi et charia et que les musulmans ne pouvaient vivre que dans un État régi selon ses lois, excluant ainsi toute possibilité d’une séparation de la politique et de la religion. Leur activisme a conduit à la défaite du mouvement de réforme de la nahda et au retour des sociétés musulmanes au traditionalisme et au salafisme, terme qui désigne le fondamentalisme islamique.

Cette même vague de traditionalisme et de salafisme qui a envahi les pays musulmans a ensuite traversé la Méditerranée pour s’installer en Occident. Les adeptes de la théorie sociologique très écoutée en France, notamment après les attentats de 2015, ont présenté le radicalisme et le terrorisme islamistes comme des conséquences du problème d’intégration lui-même dû aux difficultés socio-économiques.

J’ai réagi à ce moment-là dans la presse et dans un livre : Islam, quel problème ? Les défis de la réforme pour expliquer que cette théorie sociologique était incapable de présenter une explication crédible de l’islamisme ni proposer des méthodes de prévention fiable, car elle expliquait un phénomène qui n’était pas spécifique à la France par des éléments et des facteurs qui lui étaient spécifiques. Restreindre le champ de recherche ne permettait pas la connaissance des facteurs de l’apparition de l’islamisme et notamment l’islamisme contemporain.

Le problème d’intégration de musulmans de France est davantage une conséquence de la montée de l’islamisme et du retour au traditionalisme que sa cause.

Le problème d’intégration de musulmans de France est davantage une conséquence de la montée de l’islamisme et du retour au traditionalisme que sa cause. Même si cet islamisme fondamentaliste utilise le problème de l’intégration qu’il a lui-même engendré pour se nourrir et se renforcer. Il s’inscrit dans un autre problème d’intégration plus large qui est celui de l’intégration des musulmans dans la modernité et l’Occident représente cette modernité. C’est quand les pays musulmans ont tourné le dos à la modernité que le problème d’intégration, en Occident et en France, a commencé à se faire sentir.

La France a fourni beaucoup d’efforts dans la lutte contre le terrorisme et les Français se sentent peut-être mieux protégés, mais pas forcément rassurés. La montée de l’islamisme et son désir de s’imposer dans l’espace public les inquiètent. Cela me rappelle l’Algérie qui a vaincu le terrorisme mais pas l’expansion de l’islamisme. Comme je l’ai dit tout à l’heure, l’islamisme n’est pas forcément un terrorisme. Les islamistes présentant des signes extérieurs de radicalisation, tels que l’habillement, le refus de l’autre ou de serrer la main à une femme, n’utilisent pas tous la violence pour arriver à leur but même s’ils ne s’y opposent pas. Il y a aussi ceux qui ne portent pas ces caractéristiques, mieux encore manifestent d’avantage d’ouverture, mais qui sont pourtant des islamistes, ce sont ceux que j’appelle les néo-islamistes.

Le néo-islamisme est un islamisme dans son combat et ses objectifs, qui consiste à répandre l’islam et imposer la charia mais avec une nouvelle méthode dans sa façon d’agir.

Le néo-islamisme est un islamisme dans son combat et ses objectifs, qui consiste à répandre l’islam et imposer la charia mais avec une nouvelle méthode dans sa façon d’agir. Il utilise un discours qui manifeste souvent une certaine ouverture. Il affirme, par exemple, qu’une femme peut participer à un défilé de mode, à des compétitions sportives internationales et que les hommes se rasent la barbe et s’habillent en costume à condition que tout cela se déroule dans le cadre des recommandations de l’islam. Concernant les femmes, il est impératif qu’elles soient voilées.

Le néo-islamisme milite lui aussi pour une société régie par le droit musulman et ne fait aucune concession quant aux lois de la charia. Tout ce qu’il accepte comme changement fait partie de la jurisprudence, en arabe fiqh, qui relève de la façon de mettre les règles de la charia en pratique.

C’est donc un islamisme, qui milite pour une société régie par le droit musulman et qui ne fait aucune concession quant aux lois de la charia. Tout ce qu’il accepte comme changement fait partie de la jurisprudence, en arabe fiqh, qui relève de la façon de mettre les règles de la charia en pratique. Pour eux le fiqh, qui n’est pas la charia, peut changer pour s’adapter aux circonstances des minorités notamment. C’est une façon de permettre à l’islam de s’implanter dans des milieux qui ne sont pas traditionnellement de culture musulmane et de donner également l’image d’une religion capable d’évoluer sans que cela ne touche au principe de l’islamisme : l’application de la charia. L’ISESCO, ou l’Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la culture, l’affirme clairement à la page 87 de sa stratégie d’action à l’extérieur du monde musulman. Elle évoque la nécessité d’une « élaboration de loi inspirée du fiqh destinée aux communautés et minorités musulmanes en Occident ». Le dirigeant des Frères Musulmans, Youcef el Qaradaoui, a même consacré un ouvrage à ce sujet qu’il a intitulé La jurisprudence des minorités. Tareq Oubrou en fait un de ses thèmes privilégiés.

Les néo-islamistes tiennent souvent un discours qui se montre favorable à la modernité, ils affirment même, contrairement aux islamistes traditionalistes, que l’islam ne s’y oppose pas tout en ajoutant que cette démocratie doit être issue de l’islam, à partir des références islamiques, et non imposée par l’Occident. C’est le discours qu’on trouve chez les féministes islamistes.

Les néo-islamistes tiennent souvent un discours qui se montre favorable à la modernité, ils affirment même, contrairement aux islamistes traditionalistes, que l’islam ne s’y oppose pas tout en ajoutant que cette démocratie doit être issue de l’islam, à partir des références islamiques, et non imposée par l’Occident. C’est le discours qu’on trouve chez les féministes islamistes.

L’idée d’une modernité islamique est née par opposition aux valeurs de la modernité et de la civilisation occidentales, incompatibles selon les islamistes, avec les recommandations de l’islam. L’argument de ce nouveau discours islamiste est que les musulmans n’ont pas besoin de chercher des solutions à leurs problèmes en dehors de l’islam et de ses recommandations car ils portent en eux toutes les solutions et toutes les valeurs de la modernité, y compris la liberté et l’égalité, mais qui sont une égalité et une liberté islamiques. Ainsi, malgré le fait qu’ils veulent être dans le rapprochement, la position des adeptes du néo-islamisme envers l’Occident n’a pas changé, ni même envers la modernité. L’idée de la « modernité islamique » s’inscrit donc en réalité dans un désir d’imposer les règles de la charia alors qu’elles sont à l’opposé des valeurs de la modernité. La charia est fondée sur le principe de l’inégalité entre les musulmans et les non musulmans, les croyants et les non-croyants et les hommes et les femmes.

C’est dans cette logique et méthode d’agir qu’a été mise en place l’ISESCO, (devenue récemment Organisation du monde islamique pour l’éducation, les sciences et la culture, comme équivalent de l’Unesco. C’est un organisme établi en 1979 (54 États membres) par l’Organisation de la coopération islamique fondée en 1969. La Déclaration islamique des droits de l’humain, qui n’est pas reconnue par les Nations Unies, est un document rédigé par le Conseil islamique d’Europe le 19 septembre 1981, qui s’érige en contre-projet islamique de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Tout dans cette déclaration est édicté par le divin et encadré par la charia qui ne reconnaît ni la liberté individuelle ou de conscience, ni l’égalité, ce qui la place en opposition à la Déclaration des nations unies dont les droits sont fondés sur la raison ainsi qu’à la Déclaration de la Révolution Française.

Tous ces organismes islamiques agissant en Occident revendiquent le droit des musulmans d’avoir leur propre façon de concevoir la liberté, l’égalité et les droits humains au nom de leur particularité culturelle.

Comment la France peut-elle se protéger contre l’islamisme et son nouveau discours ? Quelles sont les actions à mener pour protéger la modernité et les acquis de l’humanité ? Pour ma part, je pense que l’action doit se faire sur deux volets : le premier concerne la République et le second l’islam.

Dans le premier, l’action doit concerner 5 points : la laïcité, le droit, l’école, la femme et la langue française.

Il faut protéger et consolider le principe de la laïcité. Il est le rempart contre le projet islamiste et c’est aussi le premier qui est visé par l’islamisme. Le protéger en veillant à ce que la loi de 1905 soit respectée. Le renforcer en mettant en place, pour répondre à des situations nouvelles, des lois qui lui permettent d’être appliquée.

Il faut aussi que les autorités rappellent le principe de la laïcité constamment et à chaque occasion, comme l’a fait le Président de la République le 18 février dernier à Mulhouse. C’est très important sur le plan psychologique que les individus français et non français réalisent la présence de l’État et sa volonté de préserver et protéger les acquis républicains.

L’objectif premier de l’islamisme est toujours d’affaiblir le droit. Cela paraît très logique pour pouvoir instaurer ses propres règles. Au Maghreb, des règles communautaires venant d’un autre siècle ont pu s’imposer lorsque le droit leur a cédé la place. Voilà pourquoi l’État doit protéger le droit et veiller à ce qu’il demeure fort. Les lois de la République ne doivent jamais reculer devant le droit religieux, et cela dans tous les territoires de la France. Il faut rappeler que la République est indivisible et que la spécificité culturelle, l’arme privilégiée des néo-islamistes, ne concerne pas le droit qui est le même pour tous les Français. Il faut que les musulmans de France soient des Français, ensuite des musulmans, contrairement à l’ISESCO qui veut qu’ils soient des musulmans qui vivent en France.

L’école est un autre domaine privilégié des islamistes pour la réalisation de leur projet : la non-intégration des musulmans dans la société française.

L’Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la culture dans sa stratégie d’action à l’extérieur du monde musulman précise qu’elle oeuvre à préserver la jeunesse musulmane en Occident « contre toute fusion dans le milieu ambiant » et lui permettre de « conserver sa spécificité culturelle dans le cadre du droit à la différence ». La France doit contrecarrer ce projet. C’est le devoir de l’État de protéger l’école afin que l’enfant issu de famille musulmane, tout comme les autres, apprenne à l’école les valeurs modernes universelles, celles qui lui permettront demain d’atteindre sa vraie dimension humaine. Il est important de faire attention encore une fois au concept de la spécificité culturelle qui est utilisé pour empêcher l’enfant issu de famille musulmane d’accéder à une éducation républicaine. Céder à cela serait de la discrimination à l’égard des enfants au nom de la religion. 

La seule spécificité dont je pourrais parler consiste à ce que l’enseignant qui s’adresse à ces enfants doit savoir qu’ils sont issus d’une culture où les notions espace privé/espace public ne sont pas connues, où la supériorité du musulman sur le non musulman et de l’homme sur la femme est une chose normale et où la liberté de conscience n’a pas de place. Il faut que les enseignants soient formés pour comprendre la culture islamique et traditionnelle au sein de laquelle évoluent ces enfants afin de leur transmettre de la manière la plus fiable et la plus pédagogique possible les valeurs modernes de l’humanité qui sont les principes de la République.

Autrement dit, apprendre à l’enfant à distinguer entre l’espace privé et l’espace public, à comprendre l’intérêt de la liberté individuelle et de la liberté de conscience, y compris pour les musulmans, à réaliser l’intérêt de l’égalité dans le processus de la maturité humaine. Égalité comme principe qui ne distingue pas entre les individus pour des raisons de sexe, de religion ou de couleur de peau.

La femme est l’autre cible de l’islamisme. Le retour de la femme aux traditions, comme le port du voile, est pour lui l’indice le plus apparent de la réussite de son projet. Voilà pourquoi il cible la femme et pourquoi l’État doit la protéger. Comment ? En ne faisant aucune concession concernant le principe de l’égalité en dehors des murs de la mosquée. Les lois de la charia sont discriminatoires à l’égard des femmes. Les femmes musulmanes en France doivent être protégées contre les discriminations tout autant que toutes les autres femmes. Aujourd’hui, certains Français, y compris des universitaires, défendent au nom de la liberté et de l’égalité le droit des femmes musulmanes de porter le voile, donc de céder aux discriminations de la charia dans l’espace public, ce qui est complètement absurde.

La langue française

Un autre élément qu’il faut absolument défendre est la langue française. Elle est de plus en plus mise en danger, non seulement en France, mais aussi dans d’autres pays comme l’Algérie. Trop d’arguments sont mis en avant pour l’affaiblir au détriment de la langue arabe : elle devrait beaucoup à la langue arabe et l’arabe serait un trésor pour la langue française. Certes, apprendre une langue est toujours un moyen d’enrichissement et d’ouverture sur l’autre, mais la langue arabe n’est pas une langue comme les autres. Elle est la langue du Coran comme je l’ai écrit dans un article que j’ai intitulé « L’apprentissage de l’arabe est inutile pour lutter contre l’islamisme ». Elle est également un aspect de la sunna (tradition) prophétique. Pour les musulmans, parler l’arabe c’est donc parler la langue de Dieu, du prophète et des premiers musulmans. La langue arabe ne concerne pas que les musulmans. La preuve en est qu’elle existait avant l’arrivée de l’islam, mais pour les mouvements islamistes, son apprentissage et son utilisation sont un indice de leur réussite. Pour les islamistes, parler la langue l’arabe c’est comme porter le voile ou la barbe, cela fait partie de la sunna.

L’ISESCO, dans sa stratégie de l’action islamique culturelle à l’extérieur du monde islamique, écrit, à la page 40 : « L’usage de la langue arabe est indispensable comme base de consolidation et de renforcement de l’identité (islamique), car c’est elle qui la “possède effectivement” parce qu’elle est la langue du Coran ». Elle ajoute, à la page 41 : « L’apprentissage de l’arabe par les enfants autochtones leur fera apprécier l’éloquence de cette langue et découvrir sa richesse culturelle. Leur intérêt pour l’arabe traduira leur estime et leur respect pour les Arabes », et ce second point est important : apprendre l’arabe doit concerner les autochtones. Pourquoi ? Pour les pousser à admirer les Arabes et reconnaître leur supériorité. Les Arabes d’Arabie évidemment. L’apprentissage de la langue arabe n’a donc pas comme objectif uniquement la découverte d’une langue. Le prédicateur égyptien El Qaradaoui écrit dans son ouvrage, Pour un éveil lucide, page 106 : « L’islam impose aux musulmans non arabes, en Asie et en Afrique, l’amour des Arabes et fait de sorte qu’ils les préfèrent au détriment de leur propre être ». À la page 107, il rapporte un texte d’un Nigérian musulman, dans lequel celui-ci aurait écrit : « La spécificité de l’islam réside dans le fait qu’il englobe la langue arabe et en même temps reconnaît aux Arabes une supériorité qu’aucun autre peuple ne peut leur discuter, quelle que soit la force de leur croyance, de leur compréhension du Coran et de leur foi dans la religion musulmane. » Voilà qui s’oppose totalement aux droits humains et à l’égalité de tous.

Toutefois, ces dispositifs ne suffisent pas. La France sera toujours menacée si ce travail sur le plan politique et éducatif n’est pas complété par un travail profond sur l’islam. La laïcité est mieux protégée quand les religions deviennent moins virulentes et acceptent mieux la cohabitation. C’est pour cela qu’il faut également agir dans le domaine de l’islam pour proposer aux musulmans un islam nouveau et compatible avec leur époque et les valeurs de la République. Cette réforme de l’islam tournée vers l’avenir est plus indispensable aujourd’hui que jamais.

Ce travail de réforme doit commencer par déconstruire les théories et les concepts qui entourent l’islam et dont se nourrissent l’islamisme et le fondamentalisme. Il faut expliquer aux adeptes de la religion musulmane que ces théories et ces concepts sont tissés par des êtres humains et leur démonter les failles et les contradictions qu’ils comportent pour libérer la pensée des musulmans de leur emprise.

Convaincre les musulmans que la charia est un ensemble de règles qui sont faites pour une autre époque et qu’aujourd’hui, elles ne sont plus valables, et surtout leur expliquer que rien n’empêche de les déclarer caduques et de les abroger étant donné que les musulmans ont déjà abrogé d’autres règles sans que cela ne les gêne. Il faut que ceux qui, parmi les musulmans, parlent au nom de l’islam aient le courage de déclarer abrogées les recommandations des versets qui appellent à la violence ou qui instituent les inégalités.

Il faut une action spéciale qui vise la femme de confession musulmane. Il faut qu’elle sache que l’argument selon lequel les lois de la charia qui concernent la femme doivent être pratiquées car elles figurent dans les textes n’est pas valable car les musulmans ne pratiquent pas toutes les recommandations coraniques. Consciemment ou inconsciemment, ils en négligent certaines et en abrogent d’autres. Les plus connues sont celles permettant la consommation du vin ou concernant l’esclavage. L’argument du texte n’est donc pas convaincant d’autant plus que la dissimulation de la chevelure n’est citée dans aucun verset alors que le foulard est la pièce maîtresse du port du voile.

Il faut trancher au sujet de l’islam, décider s’il est une religion ou une politique. S’il est une politique, il faut cesser de le considérer comme une religion. S’il est une religion, il faut le libérer de l’emprise de la politique et lui permettre de retrouver sa nature, c’est-à-dire d’être une spiritualité. Cela ne veut en aucun cas dire qu’il faut revenir au soufisme, comme le pensent certains dès lors qu’on évoque la spiritualité. D’une part, le soufisme ne rejette pas la charia et, d’autre part, pour leur épanouissement intellectuel, les musulmans ont besoin d’une religion où l’intelligence et la raison humaines sont valorisées alors que ce n’est pas le cas du soufisme.

Certains pensent que l’islam ne peut pas être réformé. Je pense que cette réforme est nécessaire pour les musulmans qui ont besoin d’être rassurés sur leur religion, et également pour ôter à l’islamisme ses armes.

Il y a cependant des conditions pour que cette réforme puisse aboutir :

Elle doit être faite par des musulmans et des islamologues courageux qui approchent l’islam avec objectivité et qui le débarrassent des idées reçues, et non par des imams ou des religieux. Un imam ou un religieux défend toujours sa paroisse. Ce n’est pas non plus à l’État français de faire cette réforme, mais il doit lui faciliter la tâche et protéger son discours en luttant contre toutes les associations islamistes qui prospèrent en France. J’ai écrit un article dans lequel j’ai abordé ce sujet que j’ai intitulé « La réforme de l’islam de France, ou la réforme de l’islam tout court ».

En outre, il faut que tous ceux et celles qui s’engagent dans la politique connaissent parfaitement la doctrine islamiste : ses fondements, ses objectifs et le double discours du néo-islamisme à l’égard des valeurs de la modernité. Pour cela, il faut qu’ils suivent une formation sérieuse. Il ne s’agit pas d’une entrave à la laïcité, mais d’avoir les moyens nécessaires pour défendre la République contre l’islamisme qui n’est plus aujourd’hui une religion, mais une politique.

La France doit travailler dans le domaine de la lutte contre l’islamisme en collaboration avec les pays du Maghreb pour aller vers une même vision de la société. La grande majorité des musulmans de France sont issus du Maghreb et c’est vers leur pays d’origine qu’ils regardent lorsqu’il s’agit de leur religion. Voilà ce que j’ai à vous dire et merci de votre attention

Commission d’enquête sénatoriale sur la radicalisation islamiste : extraits du rapport concernant Razika Adnani

PP.27 et 28-Pour Razika Adnani, membre du conseil d’orientation de la Fondation de l’Islam de France, «l’islamisme, qui désigne l’islam politique, n’est pas apparu comme beaucoup le pensent avec la naissance de la confrérie des Frères musulmans en 1928, mais en 622 lorsque le prophète a émigré de la Mecque vers Médine (…) ». C’est à ce moment-là, selon elle, que l’islam aurait quitté le champ de la spiritualité pour entrer dans le champ du politique et du social. Elle explique que «l’histoire de l’islam est également une preuve de cette imbrication du spirituel et du politique dans la religion musulmane : les conquêtes de l’islam étaient des conquêtes politiques avec l’objectif de soumettre les autochtones des terres conquises au pouvoir des arabes ». Elle relève également que les théologiens de l’islam ont, dès le XIIe siècle, tranché : « L’islam ne peut se réaliser sans sa dimension sociale et politique. » 

P.31- Razika Adnani va plus loin : « L’arabisation ou les attaques contre la langue française sont un moyen d’extension de l’islam. En tant que langue du Coran, l’arabe autorise un renforcement de l’identité islamique. Au même titre que la barbe ou le voile, la langue peut ainsi apparaître comme un signal de soumission à la sunna. » Elle rappelle d’ailleurs que les conquêtes politiques de l’islam sont passées par « l’imposition de la langue arabe qui revendiquait une suprématie sur les autres langues » ainsi que par « la supériorité des musulmans arabes sur les autres musulmans ». 

P. 34-Ainsi, les Frères musulmans porteraient un projet salafiste sous couvert d’une apparence de modernité. Razika Adnani propose même le concept de « néo-islamisme » pour bien comprendre ce qui se joue dans la société française : « Le néo islamisme est un islamisme dans son combat et ses objectifs, qui consiste à répandre l’islam et imposer la charia, mais avec une nouvelle méthode dans sa façon d’agir. » Il utilise un discours qui « manifeste souvent une certaine ouverture ». Il accepte par exemple qu’une « femme participe à un défilé de mode, à des compétitions sportives internationales et que les hommes se rasent la barbe, s’habillent en costume. » Ainsi les « néo-islamistes » développent aujourd’hui un discours en apparence favorable à la modernité, dans le but précisément d’infiltrer cette modernité pour l’islamiser. C’est là « un discours que l’on retrouve souvent chez les féministes islamiques ».

P.74– Razika Adnani, philosophe et spécialiste des questions liées à l’islam n’hésite pas à affirmer que les femmes subissent même en terre d’islam « un confinement islamiste ancestral ». Elle explique que « le confinement nous a fait réaliser à quel point notre vie peut être différente, notre santé morale affectée et notre sociabilité chamboulée lorsque nous sommes obligés de ne vivre qu’à l’intérieur de nos maisons ». Elle observe que «le confinement n’est cependant pas aussi inédit qu’on le pense. Dans les sociétés musulmanes, c’est une habitude sociale ancestrale, imposée par l’homme, non pas momentanée mais à vie ».

Il est vrai que le système de claustration ne concerne pas les hommes mais uniquement les femmes, ceux-ci se réservant le monopole des espaces extérieurs ou de loisirs. Dans plusieurs quartiers, des phénomènes de pression à l’égard des femmes souhaitant se rendre dans les cafés ont été observés ces dernières années. Une montée en puissance qui inquiète la commission d’enquête. La rue, l’espace public, deviennent ainsi des lieux où « la présence des femmes sans motif valable est vue comme une exhibition qui mérite la réprimande sauf quand un homme les accompagne » note Razika Adnani. 

Elle estime à cet égard que « le voile intégral, c’est la claustration des femmes qui se poursuit dans l’espace public ». Selon elle, « il a été inventé pour permettre aux femmes, en cas de nécessité, d’utiliser l’espace public tout en restant inexistantes dans le regard de l’autre, de l’homme précisément ». 

P. 102 – Pour Razika Adnani, membre du conseil d’administration de la Fondation islam de France, les élus doivent non seulement être conscients du problème, mais aussi avoir une meilleure connaissance du discours islamiste et du double discours vis-à-vis de la modernité, car l’« on ne peut pas se battre contre quelque chose qu’on ignore ». 

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2 Commentaire(s)

  1. BOUVARD CLAUDE dit :

    Promoteur de l’islamisation française, 4e mise en examen de Tarik Ramadan pour viol, et toujours en liberté ; pas de déchaînement des ” féministes “, étonnant, non ! ?

  2. Suzanne Cotte dit :

    Bonjour madame Adjani,
    J’ai beaucoup apprécié votre texte qui permet de mieux connaître et de situer historiquement l’évolution de l’Islam.
    Pourriez-vous me dire si la date de 1982, ne devrait pas être plutôt 1928 dans l’extrait d’un paragraphe : « (…) La Confrérie des Frères musulmans a été fondée en 1982 pour ses fondateurs, il fallait réislamiser les musulmans et réparer ce qui avait été abîmé en islam. Ils avaient donc lancé une contre-réforme qui était tournée vers le passé. (…) »
    Bon été!
    SUZANNE Cotte

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